Inspiré d’une nouvelle de Haruki Murakami, Burning permet à Lee Chang-dong de signer son sixième long-métrage, 8 ans après le remarquable Poetry. Adaptation que l’on imagine loin d’être fidèle, ce film étonnant repose, et c’est assez rare pour le souligner, sur la sagacité du spectateur.
On avait découvert Lee Chang-dong avec le touchant et néanmoins hystérique Peppermint Candy il y a près de deux décennies (on est peut-être vieux mais on fait du sport deux fois par semaine). Depuis, le réalisateur semble creuser le même sillon d’un cinéma social et politique pas si éloigné de ce qui se fait en Europe.
Avec Burning, fini les employés de bureau en burnout ou les personnes âgées, cette fois-ci place à la jeunesse et à un triangle amoureux maintes fois vu au cinéma. Mais ici, Jules et Jim se sont effacés au profit de Jong-soo (Yoo Ah-in à suivre à l’avenir) et Ben (Steven Yeun qui se refait une beauté après Walking Dead), deux jeunes coréens que tout sépare : l’un, taciturne et introverti, vient de la campagne la plus profonde et rêve de devenir écrivain, l’autre, roulant en porsche et vivant à Gangnam, dont l’apparente décontraction et le mystère entourant sa personne peuvent, si ce n’est faire penser à Gatsby le Magnifique, tout du moins masquer mal une morgue pour le moins antipathique. Au milieu, l’extravagante Hae-mi (Jeon Jong-seo, lumineuse découverte qu’on espère revoir très rapidement, pourquoi pas dans un autre registre chez Hong Sang-soo).
Ce trio improbable sur fond de lutte des classes nous rappelle, certes avec plus d’envergure, le très réussi Douche froide d’Antony Cordier pour la violence symbolique distillée avec subtilité.
Cependant, la comparaison s’arrête là tant Burning marque par sa singularité mêlant avec un certain brio, même si cela peut surprendre de prime abord, un minimalisme (des dialogues, des situations) cru, une puissance d’évocation troublante et un formalisme toujours maîtrisé.
La nouvelle de Murakami se concentre, semble-t-il, sur ce qui s’avère être le point d’orgue du film : le moment où Jong-soo, retourné chez son père, reçoit la visite de Hae-mi, dont il est amoureux et de son nouveau partenaire. Le trio fume un joint et la femme s’évanouit, laissant son compagnon révéler à Jong-soo qu’il aime brûler des granges pour passer le temps, une fois tous les deux mois environ.
Avant cette révélation qui marquera une véritable rupture dans la narration du film, le spectateur attentif assistera à un moment de grâce intense pendant lequel, sans un mot, au point du jour, Hae-mi se mettra à danser à moitié nue sur une partition de Miles Davis. Rares sont les moments de cinéma comme celui-ci où le temps paraît aussi palpable.
On comprend alors que le film prend une nouvelle direction, plus proche du thriller que le synopsis nous avait d’ailleurs vendu. Hae-mi disparaît et Jong-soo se met à sa recherche dans une deuxième partie où la narration semble dictée par le trouble intérieur du jeune homme tant les notions de temporalité et d’espace se brouillent jusqu’à un point de non-retour.
Magnifiquement mis en images par Hong Kyung-pyo, le directeur de la photographie de Bong Joon-ho, Burning prend alors les atours d’un drame psychologique flirtant avec la puissance de Vertigo sans jamais réellement parvenir à l’atteindre. Pourquoi ? Sans doute par faute de caractère ou tout du moins par un déficit de matière : là où Hitchcock parvenait à tisser sa toile avec virtuosité rendant tangible les spirales du générique, Burning repose sur des bases plus modestes voire un brin lâches, quitte à perdre le fil à certains moments clés.
Lorsque Madeleine (Kim Novak) « disparaît » c’est parce que Scottie (James Stewart) était déjà hanté par un souvenir, les deux traumas s’enrichissant. C’est tout l’inverse auquel nous assistons ici : Jong-soo prend de plein fouet la soudaine absence de Hae-mi mais le film peine à dépasser le stade de la sidération.
Loin de nous l’envie de minimiser l’impressionnante réussite de Burning et saluons une nouvelle fois le réel savoir-faire de Lee Chang-dong parvenant une nouvelle fois à nous surprendre par sa capacité à changer de tonalité en cours de route et semble même perfectionner son style.
Reste un final qui vous tétanisera sans doute, si bien que les mots de Ben, affirmant avec décontraction qu’il n’y a « pas de bien ou de mal, juste la morale de la nature », vous resteront longtemps en mémoire.