Quentin Dupieux, enfant chéri des néo-surréalistes réalise un nouveau coup de maître avec ce film déjanté.
L'histoire d'un apprenti réalisateur qui propose un projet de film d'horreur à un producteur français à Hollywood.
Ce film traite du sujet toujours délicat à mettre en image de la création, de l'inspiration et de la mise en abîme : film dans le film, réalisateur évoquant un réalisateur déjanté, une histoire déjantée racontant la mise en production d'une histoire déjantée...
Premier constat : le résumé de Réalité ne rend pas hommage à l’originalité du film et à la qualité de défricheur de Quentin Dupieux. En effet, le script du film est de facture plutôt classique (pour un film de Dupieux) et relève, à y regarder de loin, d’un cinéma d’auteur à la papa digne des meilleurs films de l’âge d’or du cinéma français.
C'est une grande réussite pour plusieurs raisons et d'abord car Dupieux ne se prend jamais au sérieux et parvient à nous faire partager son univers, tout en exprimant de façon lucide ses angoisses et même ses lubies.
Le film n'est pourtant jamais égocentrique, le spectateur peut facilement s'identifier aux peurs des personnages.
Il est aussi très poétique et propose des visions, issues des rêves des différents personnages, symboliques, séduisantes ou parfois repoussantes, avec un sens du cadrage proche des grands maîtres (et de ses grands maîtres ?) qui sont Luis Buñuel, David Lynch et Alejandro Jodorowsky.
On pense d’emblée à L’Année dernière à Marienbad, le chef d’oeuvre d’Alain Resnais (qui lui a vallu le Lion d’or à la Mostra de Venise en 1961).
Tout comme Réalité, L’Année dernière à Marienbad traite de la perception de la réalité et des points de vue des personnages. Ces derniers se questionnent sans cesse pour savoir s’ils mentent, s’ils ont oublié ou, tout simplement, s’ils se trompent. Dans Réalité, le spectateur, tout comme le personnage principal, se demande peu à peu s’il voit la réalité ou s’il voit les choses à travers les yeux d’un personnage qui ne va pas bien. En effet, il y a une mise en abîme très profonde (dans tous les sens du terme) dans ce film. Tout cela pour dire qu’il s’agit donc d’un procédé narratif qui est devenu assez classique aujourd’hui.
Enfin, si on s’intéresse aux dernières décennies, David Lynch a lui aussi abondamment traité le sujet dans ses deux chefs d’oeuvres : Lost Highway et Mulholland Drive.
Donc, pour conclure cette partie, je dirais que le scénario de Réalité n’est pas très originale, si on le met en perspective avec l’histoire du cinéma en général. Reste donc le traitement de cette histoire.
Ce qui est bien avec les films de Quentin Dupieux, c’est sa volonté de nous transporter dans un ailleurs en tout point réaliste. Je m’explique : contrairement à de nombreux réalisateurs, il n’utilise pas les effets spéciaux pour nous faire perdre pied avec la réalité. Tout se passe dans un ailleurs du quotidien : un pneu tueur, un flic dealer cachant sa drogue dans des rats morts et ici, dans Réalité, un homme présentant une émission de télévision déguisé en rat géant (tiens encore un rat…). Le petit détail qui fait mouche, c’est que personne ne trouve cela étrange. Ainsi, le décor est normal (on pourrait presque être dans un film des frères Dardenne), les personnages agissent de façon normal, ou du moins s’expriment normalement, et pourtant il y a toujours un détail qui cloche faisant basculer le film dans un ailleurs surréaliste.
Tout comme dans Wrongs Cops, Réalité peut se voir comme une succession de saynètes comiques. Sauf que Wrong Cops a la qualité rare de ne pas tenter de mimer la réalité : tout est réaliste, mais rien n’est réel. En cela, ce film est très dérangeant tout en étant à mourir de rire. Un véritable exploit ! En effet, l’étrangeté provient d’une succession d’éléments disparates qui pris isolément peuvent paraître normaux, mais mis bout à bout donne une impression de malaise. C’est pour cela que j’avais mis ce film dans mon top 5 des films de l’année dernière.
Réalité ne réussit pas ce coup de maître. Le film suit un fil conducteur, au final assez classique, avec un personnage principal et des péripéties secondaires.
Si l’humour surréaliste est parfois aussi génial que dans Wrong Cops, cette capacité à reconstruire une réalité banale à travers des histoires et des personnages totalement barrés n’est pas aussi bien réussie que dans son film précédent.
Dans Réalité, c’est là où le bat blesse, on perd cette sensation à cause du scénario : je n’entrerai pas dans le détail, mais, dans ce film, on connaît clairement les causes de la distortion de la réalité. On perd donc en subtilité.
Dans les oeuvres de David Lynch, on comprend qu’il y a un sens caché dans tous ses films, même si on ne le saisit pas à la première vision. Le réalisateur ne fait pas semblant, il ne nous en met pas plein la vue juste pour nous épater, il veut nous dire quelque chose et ses personnages ont une histoire à partager. Tandis que le cinéma de Dupieux ne recherche pas nécessairement à raconter une histoire ou à proposer un discours profond. On navigue souvent entre un absurde total sans fondement (mais très plaisant) et une imagerie presque poétique proche des surréalistes du début du XXème siècle (Bunuel, Dalì, Man Ray, Breton). En cela, son oeuvre est passionnante à suivre.
J’évoque Lynch car vous verrez que l’une des histoires parallèles raconte la découverte d’une cassette VHS bleue dans les entrailles d’un sanglier. C’est évidemment un clin d’oeil à Mulholand Drive de David Lynch et la fameuse clé bleue (je pense d’ailleurs que c’est exactement la même couleur qui est utilisée dans les deux films). Il est clair que pour Dupieux, cette histoire de cassette VHS bleue a une signification, mais je ne l’ai pas comprise et, d’ailleurs, il ne me paraît pas nécessaire de l’avoir saisie, car le film ne se veut pas intellectuel pour un sou.
Mais n'ayez crainte, ce film n'est jamais intellectuel ou pédant, il est accessible à tous et demeure hautement recommandable !
Courrez le voir si vous aimez vous perdre en riant tout en n'étant pas sûr de comprendre pourquoi.
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