Je n'ai vu aucun film de Lee Chang-Dong, mais celui-ci me donne terriblement envie de découvrir ce cinéaste. Nous étions trois, l'un a mis 7, l'autre 9 et pour ne rien vous cacher, je comptais mettre 7 en sortant de la salle. Mais ce film me hante, littéralement. Et, fait rare, ce qui me hante n'est ni une musique, ni une mise en scène, ni une scène en particulier. Ce qui me hante, ce sont ces deux personnages que tout oppose et que tout relie. C'est cette gueule d'ange, parfait, riche et ennuyé, ce héros de Lolita Pille avec du talent (c'est lourd, le running sur Lolita Pille), Steven Yeun, et cet homme rural, taiseux, qui semble un peu benêt et retenir beaucoup de choses, Yoo Ah-In. Tout les oppose, il semblerait. En réalité, non. Ils sont intimement liés.
Le feu les rassemble. Ce feu qui brûle en lui, ce feu qu'il aimerait faire jallir, ce feu comme la parole qui le ravage de l'intérieur et qui le fait imploser. Ce feu latent, que l'on partage à ses côtés, alors qu'il dine avec des amis qui n'ont rien en commun avec lui. Et l'autre, détenteur du feu des dieux, du feu de la mort, le feu funeste qui fait disparaître, qui détruit, ce feu de la folie, ce feu qui le fait exploser, pour braver l'ennui, mais surtout pour braver la vie. Il noie son désintérêt dans l'essence même de l'intérêt : la vie. Celle des femmes, plus particulièrement. Il est le penchant inverse de la personnalité timide et candide de l'autre. La fascination est réciproque. Et dans ces plans superbes où le héros mutique poursuit son meurtrier dans les dédales de son esprit, il est poursuivi par sa haine, par son paraître cloîtré, par ce feu qui carbonise peu à peu son futur. Des sons retentissent, des sons qui semblent être des mélodies, qui se répètent, inlassablement, comme pour marquer le tambourinement de son coeur qui claque contre sa poitrine. Il est Gatsby, magnifique et intouchable. Lui, est écrivain.
Le fait qu'il soit écrivain conforte dans une théorie que l'on peut se forger quelques temps après le visionnage. Et si ce Gatsby, c'était finalement son héros ? Si, petit à petit, pour justifier une atrocité commise et son manque d'assurance, il avait crée son double maléfique, ou son double parfait, et que l'on voyait à l'écran la vie de son personnage principal comme une entité opposée grâce à laquelle il s'échappe et fuit sa vie ? Et si tout cela n'était que le fantasme de sa frustration, et la disparition de la jeune femme, un moyen de la garder pour toujours à ses côtés ? Cette idée est renforcée par le fait qu'il est souvent vu uniquement par son double, alors qu'il est potentiellement le seul qui n'aurait aucune raison de passer du temps à le décrypter. Aucune, si ce n'est le challenge, un challenge romanesque, pervers, voire totalement inventé ?
Un grand film, servi par des acteurs superbes et authentiques ; ils sonnent juste à chaque fois, à tous les coups. Un tour de force mémorable, chargé de symboles historiques et d'allégories à peine voilées. Ce morcellement des deux Corées, toutes deux jointes comme deux soeurs jumelles, reliées par un haut parleur émanant de la propagande nord-coréenne, sonnent le glas d'une bipolarité qui ne peut survivre avec l'autre, comme pour rappeler que deux êtres distincts peuvent se ressembler, s'unir, se désunir et s'entretuer. Un film d'une simplicité spectaculaire.