" Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de la Westphalie, car son château avait une porte et des fenêtres. Sa grande salle même était ornée d'une tapisserie. Tous les chiens de ses basses-cours composaient une meute dans le besoin" (Voltaire, Candide ou l'Optimisme, Chapitre 1, 1759).
Que se passerait-il si vous décidiez, afin de le protéger des vicissitudes mondaines, de faire vivre un enfant en marge de la société ? Mieux, que se passerait-il si vous entreteniez le gouffre entre les mots et les choses, en confondant les noms communs ? L'éducation d'un homme peut-être la même que celle d'un chien, ou, plus simplement, peut-on dresser l'humain?
Vivant, comme dans un rêve, un véritable cauchemar, une mère et ses trois enfants mènent - au crochet d'un père tyrannique et surprotecteur - une véritable vie de chien. Scénario type du téléfilm oppressant que Lanthimos mène évidemment plus loin, en prenant comme souvent le parti du burlesque.
Avec un scénario assez galvaudé, qui peut se résumer par le maintien de personnes en huis-clos (me viennent, par exemple, des tentatives récentes de séries comme Under the dome, The Society, des films comme La Horse de Garnier, ou plus récemment Le Mur invisible, Le village et évidemment The Truman Show), le réalisateur nous laisse une grande partie du film en cette terre connue: l'intérieur "Tu ne risques rien tant que tu ne vas pas dans le jardin", dit le père à sa fille.
Ce refus d'une culture venant de l'extérieur (films, labels des produits coupés au cutter) paradoxalement appliquée à tous sauf au père (seul à avoir un nom, un métier, à faire des choix, seul à pouvoir sortir), se déploie comme un éventail d'horreurs, évoquant, grinçant, des méthodes sectaires ou totalitaires notamment une compétition en interne teintée d'humour glaçant (que sont ces autocollants dont ils parlent, que sont ces points rapidement évoqués? La femme est-elle vraiment enceinte de jumeaux, puisqu'elle a l'air de choisir -"Si vous êtes très sages, vous pourrez garder votre chambre" "Si tu fais beaucoup d'efforts, je n'accoucherai peut-être pas!" ).
Progressivement, on glisse de l'évocation de l'autophagie à la mutilation (perte de sang, blessure au couteau, perte d'un frère attaqué par le monstre-chat, perte d'une dent), de l'évocation d'une potentielle zoophilie (comment croient-ils que la mère peut accoucher d'un chien?), de distractions abjectes (chloroforme, colin-maillard effrayant) à un inceste nécessaire à toute autarcie qui (ne) se respecte (pas). Finalement, toutes les méthodes sont bonnes pour entretenir cette micro-société qui nous interroge profondément sur les fondements de la nôtre: dépendance à la mère-patrie, esprit étriqué par l'impossibilité de voir derrière la barrière, médiatisation de l'information (demandez au père, c'est le seul spécialiste), jeunesse comme lobotomisée et robotisée visant à protéger de tout intrus de l'abominable chaton à l'allégorie du désir incarné par la femme.
À cette intrigue sordide s'ajoute la légèreté plombante, l'atmosphère inquiétante et douce-amère si caractéristique du cinéma de Lanthimos par la suite, dont les intrigues prendront souvent à parti le spectateur: acculturer des enfants et cultiver des zombies, est-ce encore cultiver notre jardin?