Les raisons ayant poussé un père de famille lucide à jouer aux apprentis sociologues avec ses rejetons ne seront jamais dévoilées. Les curieux en seront quittes pour une petite frustration, les autres apprécieront la détermination sans faille d’un jeune cinéaste à créer du non sens pour remettre en perspective cette valeur fondamentale qu’il n’est jamais bien vu de malmener, à savoir celle de la famille. En faisant de la figure patriarcale de son film un bourreau passé maître dans la torture psychologique, Yorgos Lanthimos assène un sérieux uppercut à ce que peut représenter le rôle de parent, un père et une mère étant par nature des guides jamais remis en question par leurs enfants. Jusqu’à un certain point … Et ce point prend la forme ici de l’appel de la chair, des pulsions naissantes chez le fiston que le père canalise en apportant dans son foyer une source de contamination, un élément rapporté du monde extérieur qui va gangrener la famille.
De ce sujet casse tronche au possible, Yorgos Lanthimos tire le meilleur en lui associant une mise en scène glaciale composée au millimètre, une direction d’acteurs redoutable et un sens du rythme insolent qui lui permet de jouer avec l’immobilisme sans que celui-ci ne se métamorphose en ennui. Un véritable tour de force quand on se rend compte qu’il n’est quasiment question que de plans fixes dans sa mise en scène. C’est là toute la puissance de son coup d’œil singulier, cette caméra qui se positionne avec intelligence là où on ne l’attend pas forcément et qui s’appesantit, sans jamais détourner le regard, là où d’autres n’auraient osé le porter.
Forcément, une œuvre si personnelle ne peut que diviser. Canine est un film difficile à aborder parce qu’il prend les esprits à rebrousse poil pour s'en jouer de manière perverse. Dès lors, deux options possibles, rejeter l’exercice de style et subir le malaise jusqu’au bout, ou bien l’accepter, et prendre Canine pour ce qu’il est : un bouleversement sauvage, mais intelligent, de nos valeurs les plus sacrées.