On ne s’éternisera pas sur une question toujours un peu gênante, celle de la place d’un tel film en compétition officielle à Cannes. Probable prétendant à la « palme du cœur » que les distributeurs aiment à rajouter chaque année sur leurs affiches ? Toujours est-il que le nouveau film de Nadine Labaki est, sur le plan de l’écriture et de son esthétique, d’une univocité assez pénible : il faudra faire avec ce parti-pris documentaire, et cette vision au premier degré dans laquelle transpire, à chaque séquence, l’empathie pour des victimes dont le film veut se faire le porte-parole.
On a certes connu tâche plus condamnable, d’autant que la cinéaste s’est réellement immergé dans Beyrouth pour récolter des centaines d’heures de rushes en filmant non des comédiens, mais des enfants du cru. Il n’est pas question de remettre en question la sincérité de sa démarche, ni même la noblesse du combat, et c’est là la deuxième gêne provoquée par le film, face auquel la consternation peut passer pour du snobisme de spectateur privilégié et dénué de toute compassion.
Pour bien cerner la question, il suffit de comparer ce film avec d’autres compétiteurs dans le même Festival : entre le mignonnet mais inoffensif Yomeddine, le désastre des Filles du Soleil et l’abrasif En Guerre, les cinéastes ont proposé un éventail assez large de possibilités.
Ici, la première séquence-choc proposée en teaser voit un enfant assigner ses parents en justice pour leur reprocher de l’avoir fait naître : parti pris intéressant, qui n’est en réalité qu’une poudre aux yeux scénaristique destinée à relancer de temps à autre la machine à flash-backs, et un nœud narratif dont on se démêlera de façon particulièrement laborieuse sur la fin.
Les enfants sont authentiques, leurs conditions de vie restituée avec précision, et en effet, leur quotidien a tout de l’enfer des laissés pour compte. Les Misérables existent encore, et il y a de quoi soulever bien des indignations. Mais ce que ne semble pas avoir compris Nadine Labaki, c’est qu’elle s’adresse aussi à des adultes, qui n’ont pas besoin qu’on les prenne (que dis-je, qu’on les tire) par la main pour leur indiquer où, quand et comment pleurer. Caméra intrusive, rivée sur les yeux si craquants de son duo rajeunissant celui du Kid, monde vu à hauteur d’enfant pour en souligner la cruauté – et simplifier considérablement le regard porté sur lui -, et surtout recours constant, croissant et irritant à une musique aussi pénible qu’un huissier vous rappelant constamment vos dettes : l’artillerie lourde est sortie, tous aux abris.
Capharnaüm porte bien son nom : c’est un maelstrom d’images mal digérées et d’émotions mal gérées. Ce n’est pas notre indifférence qui est à blâmer, mais l’absence de recul du regard porté sur un sujet fort et digne, qui ne demandait pas tant d’effets de manche.