CAPHARNAÜM (16,1) (Nadine Labaki, LIB/FRA, 2018, 123min) :


Capharnaüm embarque le spectateur au sein d'une poignante odyssée dépeignant le destin de Zain, jeune réfugié syrien de 12 ans vivant clandestinement avec ses parents dans les bidonvilles de Beyrouth. Un déconcertant parcours chaotique intime qui va faire du bruit !


Découverte à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes 2007 avec le délicieux Caramel , la talentueuse réalisatrice libanaise Nadine Labaki récidive avec l'excellent Et maintenant on va où ? présenté dans la sélection cannoise "Un Certain regard" lors du festival 2011. Sept ans de réflexion plus tard l'auteure revient sur la croisette en compétition officielle du Festival de Cannes 2018, avec un projet personnel ambitieux : Capharnaüm (récompensé par le Prix du Jury notamment). À l'instar des yeux bien humides de Cate Blanchett présidente du jury cannois, à l'issue de la projection, le long métrage débarquant dans les salles obscures devrait valoir des vagues d'émotions lacrymales en salles. Préparez vos mouchoirs.


Très vite la metteuse en scène nous plonge à l'intérieur d'un tribunal puis dans le regard triste de Zain cet enfant sans lueur dans ses pupilles, mais animé d'une farouche volonté d'attenter un procès à ses parents ! "Pourquoi attaquez-vous vos parents en justice ?" demande le juge à l'enfant, : "Pour m'avoir donné la vie.", la réponse est rageuse et la séquence introductive saisissante. Le ton est donné ! À travers une construction en flash-backs la caméra à l'épaule de Nadine Labaki va coller quasiment tout le temps aux sandalettes roses de son petit héros débrouillard. Une descente aux enfers où Dante n'est jamais loin à travers une impressionnante immersion dans les quartiers miséreux et insalubres de Beyrouth où l'image évoque les récits des romans de Charles Dickens ou le long métrage The Kid (1921) de Charlie Chaplin.


La mise en scène opte le plus souvent pour de captivants longs plans séquences, pour suivre le parcours mouvementé de ce jeune Gavroche qui va rencontrer Rahil, une immigrée éthiopienne qui a peur de se faire expulser et faire connaissance avec Jonas, jeune bébé de cette jeune femme précarisée. De manière quasi documentaire l'œil de la caméra au poing est là pour témoigner de multiples situations de misères et de débrouillardise existantes, sans faire trop de misérabilisme malgré une musique parfois un peu trop présente pour émouvoir le spectateur. Mais la sincérité de la narration submerge tout, tant l'énergie de ce jeune petit garçon des rues nous prend littéralement aux tripes. Et le choix des situations et des séquences soulignent avec éloquence le poids de ces vies précaires, une fresque du Quart monde particulièrement percutante. Il faut dire que la réalisatrice au moment du montage possédait plus de 500 heures de rush et a su démêler avec habilité la substantifique moelle pour donner à son récit une ampleur romanesque stupéfiante.


Cette virevoltante et mélodramatique aventure sonne juste, n'en déplaise aux citadins des pays riches qui traversent la rue pour prendre un petit noir au café de Flore, "Le Monde" sous le bras et la tablette en mains, car la réalisatrice s'est imprégnée longuement de ces rues tentaculaires et de nombreux témoignages et récits de vie pour évoquer le sort des migrants, des sans papiers, des enfants maltraités et divers trafics. La dureté du monde n'est pas démagogique, et la dictature du misérabilisme est renversée par la réalisation de l'audacieuse Nadine Labaki qui n'hésite pas dans certaines bulles de respirations stylisées à offrir un peu de beauté pour changer nos regards sur la vie des ces laissés pour compte. Sans jamais être indécent, avec tact et pudeur, le film déploie une sincérité épatante en utilisant de vrais décors et de vraies personnes (à l'exception de l'avocate du jeune Zain interprétée par la réalisatrice elle-même) pour dresser le portrait de Zain, ce jeune rebelle envers ses parents et le Liban "pays de merde", transformé trop tôt en adulte pour survivre dans cette vie de misère, et épouse tous les mouvements du garçon avec bienveillance. Ce superbe mélo immersif repose sur l'épatante incarnation du sensationnel jeune Zain Al Rafeea, absolument attachant, et dont le regard troublant n'a pas fini de vous hanter durablement après la projection.


Venez suivre l'incroyable lutte quotidienne dramatique des ces gamins des rues livrés à eux-mêmes au cœur des souks et des taudis de Beyrouth, dont l'effervescence inonde cet émouvant Capharnaüm. Frénétique. Authentique. Poignant.

seb2046
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films de 2018

Créée

le 8 oct. 2018

Critique lue 2.4K fois

19 j'aime

4 commentaires

seb2046

Écrit par

Critique lue 2.4K fois

19
4

D'autres avis sur Capharnaüm

Capharnaüm
Depeyrefitte
8

Les Enfants Assourdis

Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes depuis 2007, nous avait prévenus : en déplaise à certains critiques et autres demi-dieux de l’Olympe du cinéma et du Star-System, l’édition de...

le 22 mai 2018

62 j'aime

4

Capharnaüm
Elsa_la_Cinéphile
9

Émotion à l'état pur

Je sors de la séance depuis deux heures environ et je voulais juste écrire que j'ai été totalement bouleversée par ce film, voilà. Tout simplement, je voulais juste dire ça. Je n'ai jamais autant...

le 11 nov. 2018

26 j'aime

6

Capharnaüm
Rometach
5

Un capharnaüm réussi

[Remarques générales. Je n'ai pas envie de juger et noter des films que je n'ai vus qu'une fois, souvent avec peu de connaissance du contexte de production. Je note donc 5 par défaut, et 10 ou 1 en...

le 1 juin 2018

22 j'aime

Du même critique

Plaire, aimer et courir vite
seb2046
8

Jacques et le garçon formidable...

PLAIRE, AIMER ET COURIR VITE (2018) de Christophe Honoré Cette superbe romance en plein été 93, conte la rencontre entre Arthur, jeune étudiant breton de 22 ans et Jacques, un écrivain parisien qui a...

le 11 mai 2018

36 j'aime

7

Moi, Tonya
seb2046
7

Wounds and cry...

MOI, TONYA (15,3) (Craig Gillespie, USA, 2018, 121min) : Étonnant Biopic narrant le destin tragique de Tonya Harding, patineuse artistique, célèbre pour être la première à avoir fait un triple axel...

le 19 févr. 2018

34 j'aime

2

La Villa
seb2046
7

La nostalgie camarade...

LA VILLA (14,8) (Robert Guédiguian, FRA, 2017, 107min) : Cette délicate chronique chorale aux résonances sociales et politiques narre le destin de 2 frères et une sœur, réunis dans la villa familiale...

le 30 nov. 2017

30 j'aime

4