Après avoir vu Captain Fantastic, j'ai considéré que c'était un film avec beaucoup de finesse dans l'écriture, son scénario traitait excellemment son sujet à mes yeux. Et très rapidement, en lisant des critiques et des avis de la presse, j'ai vu l'exact avis inverse au mien : le film serait beaucoup trop caricatural, il y aurait de grandes facilités scénaristiques. Ses personnages "bons" seraient trop parfaits, tout se passerait trop bien pour eux, les personnages s'opposant aux premiers s'y opposeraient trop mal (mauvaise contre-argumentation par exemple).


J'ai réfléchi à la raison d'une telle opposition dans le visionnage, en particulier puisque je m'efforce toujours moi-même d'être critique quant à ce type de défauts. Et j'ai réalisé que si je n'ai pas vu ce types de défauts, ou assez peu (voir tout en bas), c'est parce que j'ai interprété sans trop m'en rendre compte, le film comme un texte de philosophie. Le principe de la philosophie est de manier des concepts, d'utiliser de grandes idées et de les confronter ensemble. Il y a quelque chose de profondément caricatural à une telle pratique, mais ça ne signifie pas qu'elle est mauvaise, bien au contraire : il s'agit simplement d'un raisonnement par abstraction. Captain Fantastic se donne, bien entendu, de nombreuses raisons de ne pas le voir comme une abstraction, mais je n'ai pu m'empêcher de les voir comme de simples possibilités contingentes, assumées comme telles, par le film.


Le père a certaines opinions qu'on peut voir comme douteuses, au sujet d'une bonne éducation ? Qu'importe, il aurait pu en avoir d'autres, le propos du scénario aurait été le même dans l'essentiel.
Ils aiment se référer à Noam Chomsky en particulier ? Qu'importe, un autre penseur critique du même type aurait pu être cité (ne serait-ce que Nietzsche ou Rousseau) et le scénario aurait été le même, on ne sait pas vraiment quels auteurs les enfants ont lu exactement de toute façon (et on a des raisons de penser qu'ils en ont lu pas mal).
Les personnages du film qui s'opposent à ce mode de vie sont trop peu capables de contre-argumenter intelligemment ? Qu'importe, il ne me semble pas du tout que le film ait la vocation de présenter le mode d'éducation parfait de toute manière : le but de ces personnages critiques n'est donc pas de faire un bon contre-pied, mais au contraire de mettre encore plus en valeur le mode de vie présenté par le père. Nous (les spectateurs) savons déjà parfaitement ce que vaut notre mode de vie puisque nous vivons dedans, il est plus intéressant d'insister sur une alternative.


Je pense qu'on peut trouver des réponses à toutes les critiques selon lesquelles le film est caricatural, en justifiant que ce n'est pas le propos du scénario du film. Dans la manière dont je l'ai perçu, le film se voulait réellement comme un simple exemple contingent d'une certaine famille ayant un mode de vie à l'opposée de celui qu'on connaît (où la société qui précède notre naissance a décidé de notre mode de vie) : le résultat va alors être nécessairement très personnel. J'entends par là qu'ils auraient pu présenter un type d'éducation radicalement différent, et le scénario aurait pu rester, dans son propos, le même. Le scénario n'a pas vocation de présenter la famille idéale de manière absolue, il a la vocation de présenter un mode de vie, (ce qui est général et fixe) et un exemple de ce mode de vie (ce qui est particulier et modulable). Un film qui met autant en avant l'esprit critique face à la société dans son ensemble et dans tous ses aspects, est un film qui assume par avance de pouvoir être critiquable sur un ensemble de points, sans qu'on en perde la substance d'origine.
Si j'étais Viggo Mortensen dans ce film, je ferai certaines choses différemment de lui au niveau de l'éducation, mais il y a un certain nombre de choses (en particulier la capacité à critiquer les moeurs établies en société, et la maîtrise de la nature) que je laisserai similaire. Je pense que c'est là la grande qualité du film : il y a une base qui est géniale, et tout autour, des éléments contingents qu'on modifie à volonté selon notre vision de la bonne éducation. Ce mode d'éducation n'est donc pas celui d'une secte, ou s'il l'est, ce n'est que parce que de manière contingente il l'est devenu, ça ne change rien à la base générale de cette éducation (qui est présentée dans l'essentiel de sa durée, les moments réellement contingents ne sont pas si nombreux que ça, je trouve).


Le seul défaut que je trouve au scénario du film, est d'avoir considéré possible que ce fantastique père de famille ait pu commettre une erreur d'éducation aussi grossière que celui de ne pas confronter suffisamment à autrui, ses enfants. Il aurait pu inclure dans leur éducation la fréquentation d'inconnus de leur âge pendant certaines périodes, (soit quelques heures, soit quelques mois, tout dépend de la vision qu'on a de ce qui est "suffisant"), avec les gens qu'ils rencontrent sur leur route. Ils auraient appris d'eux-mêmes à se familiariser avec des inconnus, à s'en faire des amis, et auraient pu devenir des êtres potentiellement tout aussi sociables que ceux de notre société, bien qu'ils aient vécu en marge de la société. Je ne crois pas que le scénario serait très différent ou perde son sens, si l'on modifiait ce point-là de l'éducation présentée par le film.

muleet
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 31 oct. 2016

Critique lue 427 fois

4 j'aime

muleet

Écrit par

Critique lue 427 fois

4

D'autres avis sur Captain Fantastic

Captain Fantastic
Fiuza
5

Viggo e(s)t Bo

Le réalisateur du film a t-il vu Vie Sauvage de Cedric Kahn ? En tous les cas il le devrait peut-être car, si ce dernier n'est pas un chef d'œuvre, il a le mérite d'être brutalement descriptif et...

le 13 oct. 2016

148 j'aime

9

Captain Fantastic
Vincent-Ruozzi
7

The Goodfather

Ben vit avec ses six enfants au fin fond d’une forêt luxuriante du Nord-Ouest des États-Unis. Leur journée est rythmée par des entraînements physiques intensifs et de longues lectures sur des sujets...

le 23 oct. 2016

128 j'aime

6

Captain Fantastic
Velvetman
7

Culture Freaks

Aussi difficile que cela puisse paraître, Matt Ross arrive parfaitement à se sortir du piège idéologique que pouvait lui imposer un film tel que Captain Fantastic. Le film, d’ailleurs, fait l’effet...

le 14 oct. 2016

125 j'aime

3

Du même critique

Metal Gear Solid
muleet
10

Overwhelming fire power of the nuclear warhead-equipped two-legged walking tank.

(Critique spoilante.) Ce jeu a un double niveau de lecture assez remarquable. Différents détails sont très utiles à savoir, qu'on comprend avec les jeux suivants ou une fois le jeu terminé une...

le 7 avr. 2012

36 j'aime

1

The Legend of Zelda
muleet
7

Critique de The Legend of Zelda par muleet

Je l'ai fait en cours de philo au lycée en traçant la carte du jeu sur une feuille à carreau, chaque écran du jeu occupant un carreau, j'indiquais les arbres, la montagne et les rochers à l'aide de...

le 21 mai 2012

24 j'aime

4

Le Schtroumpf financier - Les Schtroumpfs, tome 16
muleet
9

Critique de Le Schtroumpf financier - Les Schtroumpfs, tome 16 par muleet

Cette bande dessinée très sérieuse démontre les problèmes de notre monde, et potentiellement leur solution. Le Schtroumpf paysan n'est pas qu'un paysan : il récolte assez de nourriture pour tout...

le 19 mars 2014

20 j'aime

6