Pour son troisième film le réalisateur Guy Maddin abandonne le noir et blanc mais aucunement ses obsessions artistiques et son amour d'un cinéma bricolé et d'un autre temps. Careful est également le film le plus bavard des trois premières œuvres de son réalisateur alors que bien paradoxalement il traite du silence et des non-dits.
Careful nous entraîne dans un village de montagne au début du siècle dans lequel les habitants vivent dans la crainte permanente d'un bruit trop fort qui provoquerait une avalanche destructrice et mortelle. C'est dans ce cadre que vont se tisser d'étranges liens sentimentaux autour d'une mère veuve avec ses trois fils, d'un étrange conte vivant seul dans un immense manoir et une jeune fille au père protecteur.
Avec CarefulGuy Maddin semble donc découvrir le cinéma parlant et en couleur, (en 1992 il était temps) mais cela ne fait pas pour autant de ce troisième film une œuvre classique à l'esthétique contemporaine. Encore et toujours, Guy Maddin creuse le sillage de ses obsessions visuelles et artistiques et Careful ressemble comme ses précédents long-métrage un film du début du siècle dernier. Le film est certes en couleurs mais le réalisateur utilise des filtres de couleurs brutes, des images aux allures de vieux pastels délavés par le temps mais également des scènes qui semblent avoir étés peintes grossièrement à la main directement sur la pellicule. Cette palette de couleurs d'un autre temps associée à cet amour intact du tournage en studio et des effets bricolés à même le plateau font que Careful s'inscrit parfaitement dans l'univers et la filmographie naissante de Guy Maddin tout en marquant une certaine mais relative évolution artistique.
Le film baigne encore et toujours dans une esthétique proche de l'onirisme d'un rêve, dans une forme de folie surréaliste tout en continuant de s'inscrire dans la tradition du cinéma muet et de l'expressionnisme allemand à l'image des maisons aux perspectives biscornues qui font office de décor peint et de l'utilisation permanente de l'ombre, du flou et de contrastes très prononcés. Careful regorge une nouvelle fois d'images aussi fascinantes que désuètes et d'idées un peu folles comme cette tête de canard mort s'échappant d'un coucou, ce fœtus grotesque d'oiseau tombant d'on œuf cassé au-dessus d'une poêle ou encore de ces femmes en tenue légère travaillant dans une mine avec sur la tête un bonnet de mousseline hérissé de bougies façon gâteau d'anniversaire..
Le cadre et le contexte de cette histoire avec ce village de montagne sont brillamment exposés dans un prologue dans lequel Guy Maddin nous annonce les étranges règles de vie de ce microcosme vivant éternellement dans la peur du moindre bruit. Les enfants sont bâillonnés, on coupe les cordes vocales des animaux, on utilise d'épais tapis sur lesquels on danse sur des mélodies étouffées, les instruments de musiques n'ont plus de cordes, et l'on vit dans la peur permanente des cris des oies sauvages lors de leur passage, l'ensemble donne vraiment au film un contexte extrêmement puissant. Malheureusement ce contexte ne sera jamais pleinement exploité, le réalisateur ne s'en servira finalement que de manière symbolique en montrant des personnages condamné à taire et étouffer leurs sentiments conflictuels et leur rage intérieure. Une nouvelle fois Guy Maddin construit son film autour de relations amoureuses impossibles et difficiles, le film traitant ici de désir d'adultère et surtout d'inceste autour de personnages qui par nature sont condamnés à ne faire aucun bruit susceptible de troubler la tranquillité de cette société réduite au silence.
Baroque, romanesque et parfois grotesque, emprunt d'une ambiance fantastique et fantasmagorique Careful est une nouvelle démonstration de l'univers unique de Guy Maddin qui signe ici le meilleur de ses trois premiers film. Le film sera pourtant un immense échec commercial (en même temps il fallait pas espérer les recettes d'un blockbuster) qui éloignera Guy Maddin du cinéma durant six années ( à l'execption de trois courts métrages)