Tourné en 1951, ce film a pour particularité d’être le premier long métrage japonais en couleur. La Shochiku fit pour cela le choix du Fujicolor mais, comme on n’était pas vraiment sûr de la qualité du résultat, exigea qu’une version en noir et Blanc soit filmée pour chaque scène. De fait, c’est surtout cette version que les salles japonaises, pas toutes équipées pour montrer celle en couleurs, choisirent de diffuser. Pour les chanceux qui virent le film paré de ses belles couleurs flashy, on se doute que ça a dû être un sacré émerveillement, et l’on comprend le choix de cette contrée située dans la région de Karuizawa : un magnifique ciel bleu, des prairies verdoyantes et, au milieu de tout cela, Carmen et Akemi dans des robes les faisant ressembler à de belles perruches. On sent d’ailleurs que les costumes ont été choisis avec l’idée que leurs couleurs allaient être visibles. De même pour le maquillage qui a été très différent que pour des tournages de films en N&B, allant jusqu’à mettre mal à l’aise les acteurs, trouvant qu’ils étaient un peu too much : par rapport à la restitution des couleurs sur Fujicolor, il semble qu’il ait été nécessaire d’alourdir le maquillage pour avoir un résultat convaincant.
C’est flashy, donc, mais c’est chouette, positivement charmant. Faisant partie des cent films japonais les plus importants aux yeux d’Akira Kurosawa, on pourrait ajouter qu’il s’agit aussi d’une brillante comédie qui fait gentiment la satire d’une époque faisant l’éloge de la frivolité après des moments plus difficiles, moments incarnés par un personnage parti à la guerre et revenu aveugle – tout un symbole, lui n’aura pas la chance de se repaître de la plastique des deux strip-teaseuses. Autre personnage intéressant : le directeur de l’école, qui ne jure que par les bienfaits de l’art et qui se félicite à l’idée de voir venir une « artiste » (il déchantera quand il comprendra la nature de son art). Citons enfin le père de Lily qui lui sera franchement désespéré à l’idée que sa fille se donne en spectacle ainsi car oui, les deux strip-teaseuses seront bien décidées d’offrir aux gentils villageois un aperçu de leur art dans la salle de spectacle du village. Ajoutons qu’il s’agit du premier rôle d’actrice freelance d’Hideko Takamine, après qu’elle a quitté la Shintôhô. Elle campe parfaitement le personnage de Carmen, à la fois joyeuse, dessalée, espiègle bref, à l’image du film, très colorée.
La satire est gentille, ménageant la chèvre et le chou même si, au bout du compte, le film semble pencher en faveur de la frivolité incarnée par les deux filles. Ajoutons que le film se teinte de comédie musicale avec l’insertion de passages chantés assez brefs dans lesquels Carmen évoque les plaisirs de Paris ou de Monte-Carlo. Rien de comparable aux grandes comédies américaines mais, là aussi, le tout n’est pas sans distiller un certain charme. Le film connut bien sûr du succès, à tel pointe qu’une suite fut réalisée… mais en N&B. Pour la couleur, d’autres réalisateurs allaient s’empresser de prendre le relai.
Plus de critiques cinémajaponais sur bullesdejapon.fr