Carne
6.9
Carne

Moyen-métrage de Gaspar Noé (1991)

Un cri de haine, de rage et de dégoût de quarante minutes. Je viens de sortir d'une expérience de cinéma troublante, la définition-même du film coup de poing. Il y a dans ce film quelque chose de profondément poisseux et crade. On ressent cette violence contenue depuis un tas d'années qui ne cherche qu'à exulter d'un seul coup, comme pour soulager le poids d'une vie rongée par la monotonie et la tentation de la chair, de l'interdit. Sans fards ni détours, Noé tranche dans le lard et ne fais pas de concessions. On pénètre ainsi dans l'intimité d'un homme au bord de la rupture qui accumule les frustrations et cultive une haine nourrie de celles-ci. Une haine prête à sortir au grand jour dès que le peu de choses qui lui tient à coeur est menacé. En ce sens, la relation père-fille est la voûte du film. On sent cet appel de l'inceste refoulé, cette volonté de franchir la ligne, de mêler l'espace d'un instant sa propre chair face "à la chair de sa chair". Et c'est mis en scène de manière tellement abrupte que l'oeuvre interpelle et marque. Le film dispose à la fois d'une véritable empreinte visuelle et d'une exploitation du son terriblement accrocheuse. Entre la voix-off illustrant toutes les pulsions qui animent le personnage, les sons récurrents et même tout simplement l'utilisation du bruit de fond, le film réussit à être captivant et fascinant de bout en bout. J'ai d'ailleurs pensé à l'année des 13 lunes de Fassbinder et ce passage marquant de abattoir où le malaise découlait de cette manière. A la fois par le choc frontal procuré par les images et par la voix-off remplie de douleur. C'était très perturbant, et Carne c'est presque ça mais sur 40 minutes.

Il y a une véritable intelligence dans le traitement des différents thèmes abordés. Ça parle de sexe, de mort, de désirs, de peurs et jamais on ne sombre dans la surenchère ou la subversion de pacotille. On voit évoluer ce personnage, on le voit développer sa haine, tantôt "justifiée", tantôt gratuite mais je ne pouvais m'empêcher d'avoir de l'empathie pour lui. Car cette haine est palpable tout le long du métrage, on assiste ainsi à une véritable confession et nous avons une vision intime de cette douleur renfermée. Philippe Nahon est juste remarquable. Plus que sa trogne atypique, il dégage quelque chose de puissant. Mais heureusement tout le film ne repose pas sur lui. Son interprétation fait partie d'un ensemble inventif, perturbant et bourré d'idées. Noé s'astique parfois un peu sur sa caméra, il y a une certaine redondance dans le style mais ça ne me choque finalement pas plus que ça vu la durée du film. Car ce style a de la gueule, il est jusqu'au-boutiste et sans celui-ci, Carne n'aurait jamais eu la même intensité. Mon premier Noé fut donc une sacrée expérience que j'ai beaucoup aimé, et du coup j'ai hâte de voir la suite! Car là, les émotions fortes étaient de sortie. Et j'aime les émotions fortes.
Moorhuhn
7
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le 26 avr. 2014

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Moorhuhn

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