Carnets 88 est un documentaire de Sylvain Yonnet qui durant 105 minutes nous plonge en immersion et sans bouteilles d'oxygène dans l'extrême droite française. Mais attention pas dans l'extrême droite polissée par des années de dédiabolisation, pas dans la droite forte et radicale qui drague l'électorat frontiste non, ici le GPS indique clairement d'aller à droite et encore à droite jusqu'au fin fond de l'impasse de l'extrême droite pour tourner encore un peu à droite. Bienvenu dans le milieu néofasciste qui assume avec fierté d'être raciste, misogyne, antisémite, suprémaciste et nostalgique du troisième Reich.
Durant un an le réalisateur Sylvain Yonnet a suivi Daniel Conversano un ancien camarade de lycée devenu youtubeur et leader d'opinion d'un courant de l'extrême droite française. Carnets 88 nous replonge en 2016 alors que commence à se mettre en place sur internet ce que l'on appellera plus tard la fachosphère, l'occasion pour Sylvain Yonnet de donner la parole à de nombreux acteurs des mouvements les plus radicaux de l'extrême droite française et européenne.
La grande force de Carnets 88 de Sylvain Yonnet c'est de ne jamais avancer masqué et de ne proposer strictement aucun contre argumentaire ni regard critique sur tous ce que vous entendrez durant le documentaire quitte à avoir les oreilles qui saignent et des hauts le cœur. Il n'est pas question ici de tenter de débusquer des idées nauséabondes sous le vernis de la respectabilité, ni de guider le spectateur vers ce qu'il doit penser ; simplement de regarder en face et écouter une extrême droite décomplexée et fier de l'être quitte à laisser le spectateur dans un profond malaise. La personne au cœur de Carnets 88 c'est donc Daniel Conversano que le réalisateur du film Sylvain Yonnet avait rencontré alors qu'ils étaient étudiants en philosophie à Grenoble. Souhaitant s'orienter vers le cinéma Daniel Conversano travaillera un temps comme technicien audiovisuelle avec Dieudonné pour s'orienter ensuite dès 2010 vers Youtube ou il publiera des vidéos humoristique et politique dans lequel il interprète un dictateur, puis des interventions face caméra sur l'actualité et des interviews de personnalités tels que Serge Ayoub, Renaud Camus ou le directeur du Rivarol. Affable, intelligent, charismatique, drôle, proche du prolétariat Daniel Conversano n'a rien de la caricature d'un crâne rasé surmontant une tête pleine d'eau, ce qui rend ce séducteur d'opinions d'autant plus dangereux dans son travail d’embrigadement idéologique. Si la forme est séduisante le fond quant à lui est souvent abject car le créneau de Conversano est justement de renier la dédiabolisation et d'assumer fièrement d'appartenir à une race supérieur qui ne doit pas se cacher pour exister puisque tous les autres sont inférieures par définition. Alors que d'autres jouent les vierges offusquées dès l'instant qu'on leur parle de racisme, Daniel Conversano lui bombe le torse et se délecte comme l'immense majorité des intervenants de ce documentaire assez édifiant. Préservation de la race blanche et européenne supérieure, condamnation absolue du métissage, féminisme présentée comme une doctrine fomentée par Israël dans un complot global, volonté d’écarter de la société malades et handicapés, remigration massive, femmes soumise à la virilité turgescente du mâle blanc, glorification béate du troisième Reich … Carnets 88 est un film qui fait mal à l'humanisme et qui donne parfois envie de vomir mais la réalité doit se regarder en face. Dans ce magma d'idéaux radicaux les extrêmes finissent même par ce rejoindre lorsqu'un musulman radical fiché S et un militant extrémiste reconnaissent que finalement sur l'autorité à une doctrine, l'éducation, la place de la femme , le respect des règles, le communautarisme (raciale ou religieux) fachos et islamistes sont dans le même bateau (pourvu qu'il coule très vite). Le film de Sylvain Yonnet permet aussi d'avoir un aperçu des différents courants de l'extrême droite française souvent incapable de s'entendre entre eux selon le symbole qu'ils font tourner autour de leurs valeurs un peu rances comme la race, la nation, le christianisme, le drapeau ou la nostalgie monarchique.
Carnets 88 est un documentaire qui fait le choix de mettre à rude épreuve les spectateurs, surtout les pauvres et faibles humanistes comme moi. Certains diront qu'il n'est nul besoin d'aller mettre son nez au fond d'un égout pour savoir que ça pue, mais il est toujours bon d'ouvrir les oreilles et de garder les yeux bien ouverts plutôt que de faire l'autruche, quitte à avoir durant quelques heures les symptômes d'une bonne gastro.