Carrefour
7.4
Carrefour

Film de Teinosuke Kinugasa (1928)

De Teinosuke Kinugasa, le public occidental le connaît essentiellement grâce au génialissime et totalement perché "Une Page folle" et la palme d'Or "La Porte de l'Enfer" (que j'ai très moyennement aimé). Puis m'est venu un jour l'idée de voir s'il n'y avait pas quelque chose à explorer au-delà de tout ça, ce qui m'amène justement à vous parler de "Carrefour". Visiblement inédit par chez nous en support physique, j'eus toutefois le plaisir de tomber en ligne sur une version VOSTFR (sous-titrage amateur of course) désormais disparue.


Compte tenu de l'absence de synopsis, je tâcherai de vous décrire un minimum l'histoire pour vous mettre l'eau à la bouche. C'est donc l'histoire d'un homme follement amoureux d'une femme qui se jouera de lui. Pour ne rien arranger, il est entré en confrontation avec un prétendant qu'il avait un peu molesté auparavant. Décidément très rancunier, son adversaire lui éclate en pleine tronche une bouteille remplie d'un liquide lui causant une belle cécité. Se réfugiant chez sa soeur, ravagé par la tristesse de la perte de sa vision et de celle qu'il courtisait, il se noie dans les souvenirs. De son côté, sa très dévouée soeur doit bientôt faire face à plusieurs problèmes de taille : la perversité du proprio, la police et l'argent à récolter pour rendre la vue à son frère. Une maquerelle en profitera pour essayer de l'embaucher comme prostituée.


Voilà en gros les lignes de l'histoire sans entrer dans toutes les subtilités d'un film brillamment mis en scène. Kinugasa filme le malheur familial lorsqu'il arrive brusquement dans la vie de tous les protagonistes. Sont abordés le sacrifice de soi et l'amour fraternel avec une touchante sincérité. En l'état, "Carrefour" oscille entre drame d'amour et critique piquante d'une société japonaise dont certains membres profitent de la misère des plus faibles pour s'enrichir. Certains passages sont assez culottés pour l'époque, déjà dans la scène très brutale de l'agression à la bouteille mais aussi dans l'obscénité d'un propriétaire profitant de son statut pour soutirer à la soeur non plus des faveurs pécunières mais... vous savez quoi. Une étonnante modernité de ton se reflète dans "Carrefour", au détriment d'une mise en scène loin des fulgurances expérimentales hors norme de "Une page folle" sorti deux ans auparavant. Ceux qui auront été biberonné au démentiel hôpital psychiatrique auront peut-être du mal à passer outre dans la mesure où "Carrefour" s'intègre dans un circuit plus conventionnel, un peu moins marquant éventuellement.


Se pose alors une problématique qui en gênera plus d'un : l'absence totale de musique. Le film est complètement silencieux, sans le moindre pet de bruitages ou quoi que ce soit. C'est là que l'on ressent bel et bien cette fracture cinématographique entre nous occidentaux et le Japon où ceux-ci s'acoquinaient des fameux benshi avant l'arrivée du parlant. Sans eux, le film perd finalement un peu en rythme et en ambiance. Le cinéma muet japonais incarnerait bien le plus bel exemple de différence de perception de l'art cinématographique entre deux peuples (occidentaux vs japonais donc). Toutefois, il reste une terre d'exploration palpitante pour peu que l'on accepte les conditions de visionnage de 2021.

MisterLynch
7
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le 25 juil. 2021

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