Cartel est un film bien étrange, a priori raté. Mais à bien y réfléchir, il semblerait qu’on lui reproche surtout son audace.
Commençons par ce qui ne fonctionne pas. L’économie générale du scénario est franchement précaire. Verbeux, mal fagoté, distendu, le récit flotte et se répartit laborieusement entre un « Avant, les avertissements » et « Pendant, l’anéantissement ». Le monde glacial des affaires acoquiné avec les bouillonnements des cartels occasionne une photographie comme souvent très travaillée chez Scott : bleu/gris contre jaune ocre. Notre « counsellor » en titre, splendide de maitrise et de glamour, va donc progressivement s’écharper au réel avec lequel il a cru bon de frayer, tout entier rivé à son avidité (« greed » étant un terme récurrent dans le film).
Face à lui, une galerie de victimes consentantes, émues par les diamants ou le sexe, perdues pour l’humanité qui, de toute façon, n’est plus qu’un concept.
La patte de McCarthy est flagrante, et frise, il faut l’avouer, l’autoparodie par moments. A trop vouloir imaginer l’incarnation du mal, à disséminer des aphorismes poseurs toutes les deux phrases (et Dieu sait s’il y en a, des phrases…), on décroche un peu.
Il n’empêche que certains aspects sauvent le film du désastre total, et qu’on les doit évidemment à son scénariste. D’une noirceur totale, sans aucune possibilité de rédemption, le récit est un véritable requiem. On retrouve la dynamique de « No country for old men », celle d’un geste décisif qui précipite une chute irrémédiable. Les comédiens sont convaincants, les situations glaçantes, et on saluera l’audace qui parvient à rendre même le sexe effrayant dans un numéro de lap dance sur pare-brise assez dérangeant.
On est aussi et surtout étonné par le parti-pris de ce film, un thriller avec une galerie de stars se transformant en une dissertation sur le destin, le choix et l’acceptation du pire. Tragique jusqu’au bout des ongles, desservant tous les comédiens en pervertissant leur glamour au profit d’une immoralité tétanisante, Cartel n’égale bien entendu par l’opus des frères Coen, mais distille tout de même une atmosphère implacable.
Maladroit, mal fichu, assez peu convaincant, certes. Mais Cartel a les défauts de ses qualités, et il convient de reconnaitre son originalité dans le paysage formaté des productions hollywoodiennes du même acabit.