Nous avons vécu des choses folles avec le James Bond version Pierce Brosnan, une période marquant une rupture, avec l’après-Guerre Froide, s’adonnant à tous les excès, transformant presque l’agent britannique en un super-héros capable des plus grands exploits. Avec Meurs un autre jour, la saga avait repoussé toutes les limites, au point qu’il était peut-être temps de freiner un peu. Et c’est ce que va faire Casino Royale, offrant l’un des épisodes les plus réussis de cette saga.


Retour à la case départ. Dans une image en noir et blanc, signifiant à la fois une sorte de retour dans le passé, et aussi quelque chose d’intemporel, nous découvrons ce que nous n’avions jamais vu avant : la naissance de 007. Pas au sens propre bien sûr, mais bien son obtention de ce fameux « permis de tuer » et du matricule allant avec. Une séquence toute en sobriété (hormis la bagarre dans les toilettes, bien sûr), faisant d’elle l’une des séquences pré-génériques les plus sages de la saga, et de loin, annonçant par la même occasion le ton que va prendre ce vingt-et-unième film. Se lance alors le générique, qui frappe par sa beauté, mais aussi par un détail qui surprend. Pas de silhouette de femmes se trémoussant, pas de corps dénudés. Pour la première fois, que des silhouettes masculines, des combats, des armes et des cartes, accompagnées par l’excellente chanson du regretté Chris Cornell, pour un mélange détonant signifiant une volonté, pour une fois, de laisser le glamour de côté, et de revenir aux bases. L’impressionnante poursuite qui vient après le générique achève d’annoncer la démarche de ce Casino Royale, voyant James Bond poursuivre un homme à l’agilité impressionnante, quand Bond paraît bien plus massif et brutal. Hautement symbolique, cette impressionnante séquence affiche ainsi un nouveau visage de James Bond : un homme de terrain, fort mais pas surhumain, intelligent mais pas infaillible, privilégiant aux discours l’action.


Au flegme de Pierce Brosnan succède l’efficacité de Daniel Craig, semblant prendre la relève de Timothy Dalton en choisissant d’incarner un James Bond plus humain, autant dans son comportement que dans sa capacité à surmonter les épreuves. En choisissant de revenir aux débuts de l’agent, le choix est, également, d’apporter un véritable renouveau, de faire table rase du passé et de véritablement faire rentrer James Bond, personnage que l’on pourrait parfois trouver ringard, macho et dépassé, dans la modernité. Mais l’intention ne suffit pas à obtenir le résultat souhaité. Or, Casino Royale bénéficie d’un vrai soucis de bien écrire son intrigue et ses personnages, c’est un épisode qui prend son temps, faisant preuve d’intelligence dans son déroulé, tout en étant capable d’exceller dans l’action, renouvelant drastiquement la franchise avec un épisode de grande qualité. En effet, autant que nous découvrions pour la première fois James Bond assis à une table de jeu dans James Bond contre Dr. No, choisir un casino et une partie de poker comme cadres pour une partie importante de l’intrigue était un choix ô combien symbolique et judicieux.


Car si le poker est un jeu auquel James Bond aime s’adonner, c’est aussi un excellent moyen d’illustrer les ficelles du métier d’espion par le prisme d’un jeu que tout le monde connaît. Ce n’est pas la main qui détermine le vainqueur, mais bien l’attitude. Tout est une question d’apparences et de prises de risque, et avoir la meilleure arme ne sera pas le facteur décisif pour remporter la partie. Chacun des personnage a des atouts, mais chacun a ses faiblesses. Et chacun doit jouer un rôle pour parvenir à les surpasser. C’est ce que nous constatons avec Vesper, meurtrie depuis des années par un chagrin, cachant sa peur du monde derrière un rideau d’assurance et de cynisme lui donnant une allure de femme fatale. Mais aussi avec Le Chiffre, ce méchant si mémorable incarné par l’excellent Mads Mikkelsen, avec son air sinistre, un adversaire implacable d’apparence, pourtant confronté à l’échec, n’étant qu’un pion placé sur un échiquier dont les enjeux finissent fatalement par le dépasser. Et c’est aussi le cas, donc, de James Bond, échappant à plusieurs reprises à la mort de justesse, devenant le symbole de ce qu’il courtisait auparavant, à l’image de la scène où il sort de l’eau, et trouvant chez Vesper une femme ayant du répondant, à la fragilité qui le touche, lui offrant l’espoir d’une vie autre que celle qu’il menait. Une relation très intéressante, bien développée, rappelant bien sûr celle liant Tracy à James Bond dans Au service secret de Sa Majesté, à bien des égards.


Après les films avec George Lazenby et Timothy Dalton, la saga réussit enfin à trouver le moment opportun et les bonnes circonstances pour opérer ce retour aux fondamentaux, où on remet les compteurs à zéro pour donner de l’envergure au personnage de James Bond non pas à travers ses exploits, mais à travers des facteurs plus psychologiques. Faire sauter des bases militaires et sauver le monde de l’apocalypse n’est plus d’actualité, il faut que le spectateur puisse se projeter dans ces situations, sans oublier, bien sûr, le divertissement qui va avec les films James Bond. Longtemps source d’inquiétudes et de méfiance, Daniel Craig s’empare du personnage avec beaucoup de réussite, offrant une version résolument moderne de 007. Une nouvelle ère s’ouvre avec Casino Royale, une véritable réussite, un épisode majeur de la saga.


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le 9 oct. 2020

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