La séquence inaugurale du deuxième long métrage de Nadège Trebal, un langoureux travelling latéral sur les visiteurs de la casse, fouillant et déambulant autour des voitures éventrées, inscrit d’emblée le film dans une forme d’esthétisation assumée du réel. La musique de Luc Meilland, à la fois sexy et entraînante, place la mise en scène sous le signe du spectaculaire ou du narratif, alors même que c’est d’une pauvreté grise et froide dont il s’agit. Passé cet incipit alléchant, le film semble hésiter en permanence entre une mise en scène sublimatoire et un point de vue lucide sur cette réalité.
Les visiteurs de la casse sont parfois transformés en de véritables figures de cinéma. Les hommes surtout, mais aussi quelques enfants et une femme, sortent pendant quelques instants du registre du documentaire ou du réel, pour constituer de véritables portraits à l’apparence fragile ou mystérieuse. Le choix du dispositif filmique, une lourde caméra, très encombrante, mais produisant une image magnifique, constitue en ce sens un luxe pertinent.
La documentariste s’accorde ainsi de purs moments de grâce : un enfant de trois ans au regard effrayé, perdu dans le vague, un autre réchauffé par l’étreinte de son affectueuse grande sœur, des portraits immobiles dont les personnages soutiennent longuement le regard face caméra, ou encore un homme dansant gaiement au milieu des voitures défoncées.
Ces instants de poésie, d’une belle intensité émotionnelle, rythment le film et insufflent de véritables pauses d’humanité picturale. Une perception agréable et peu courante dans le genre du documentaire, trop souvent dédié à la seule captation organisée du réel.
Le second geste de mise en scène, moins singulier et séduisant que le premier, consiste à les filmer en plan serré, caméra à l’épaule, au plus près de leur vérité émotionnelle et existentielle. La caméra longe les corps tordus par l’effort, s’attarde sur des mains, un bras nu et musclé. Parfois laborieusement, elle tente de faire en sorte que son sujet, filmé en gros plan, ne quitte pas trop le champ à force de mouvements ou d’éclats de rires. Quand il n’est pas à la poursuite d’un visage, le cadre semble parfois sous l’emprise d’une main distraite ou paresseuse, qui ne sait pas toujours que saisir ou que montrer. Quelques contre-champs maladroitement truqués sonnent de manière artificielle ou lourde.
C’est dans son hésitation avec ce second parti pris que le film perd de son originalité et de son intérêt. La caméra s’attarde sur les gestes répétés de ces mécaniciens apprentis ou professionnels (certains sont des employés garagistes envoyés rechercher des pièces par leur patron), ainsi que sur leurs discours. Des hommes racontent leurs déboires affectifs, sociaux ou professionnels, entre des confidences lourdes de tristesse et des appels spontanés à la gaieté et au bonheur retrouvé.
Ce dispositif, trop répétitif malgré de jolies pauses, prend le risque de perdre l’attention du spectateur. Les témoignages sont émouvants mais déjà souvent entendus : le récit d’une traversée de l’atlantique par un immigré africain, les difficultés à s’intégrer pour des familles issues de l’immigration, ou à élever un enfant pour une femme célibataire. Malgré l’intérêt qu’ils suscitent, ils manquent d’une mise en scène formelle suffisamment tenue.
La réussite partielle du film réside malgré tout le dialogue entre ces témoignages et la réalité matérielle des voitures. Les carcasses des véhicules éventrés, sales, brisés, abandonnés, partiellement démontés, deviennent le miroir de leur existence cabossée. Les cadavres de voiture, dans lesquels on vient chercher la pièce miracle qui viendra remplacer celle qui a cassé dans son véhicule, devient l’image de leurs blessures et de leur espoir. Tel pare-brise, moteur ou fenêtre métaphorise la pièce manquante à leur vie, qu’ils tentent de combler ou de réparer avec courage et détermination.