La présence d’Oliver Reed dans un tel film, ça dépasse l'entendement. 15 ans après sa prestation outrée, hallucinée et over the top dans Les Diables de Ken Russell, on le retrouve embarqué dans cette histoire renversante, adaptée de deux livres autobiographiques, dédiée à la lubie romantique d’un écrivain échoué volontaire sur une île déserte australienne en très bonne compagnie — qu'il avait pris le temps de soigneusement sélectionner au préalable. C'est le récit authentique de Lucy Irvine, une employée londonienne de 25 ans, blasée par la vie citadine, qui répond à une annonce dans Time Out London stipulant "écrivain d'une trentaine d'années recherche jeune épouse pour passer une année dans une île tropicale"... Une annonce placée par Gerald Kingsland, 49 ans, qui sélectionna cette femme parmi plus de cinquante candidates et avec qui il se maria (afin de respecter une loi australienne restreignant l'immigration) pour aller passer un an sur l'île de Tuin. Chacun des deux écrira un livre à l'issue de cette aventure, base de travail pour cette adaptation réalisée par le décidément très singulier Nicolas Roeg.
Ainsi, Castaway (à ne pas confondre avec le film de Robert Zemeckis, Cast away, "Seul au monde" en français) se résume à 2 heures presque intégralement sur une île déserte, en compagnie d’Oliver Reed en écrivain rêveur emphatique puis bougon et d'Amanda Donohoe en aspirante à l'émancipation sous les tropiques, essentiellement nue — un argument marketing incontournable, sans aucun doute. Elle dira d'ailleurs de manière assez drôle, au sujet du tournage : "Well, naked on a desert island with Oliver Reed – it was a tabloid fantasy, wasn't it? He was an alcoholic and his behaviour was erratic, but he was always a courteous and good actor. His personal life wasn't working but he never crossed any lines professionally." Ce rêve de publicitaire lubrique se révèlera comme la cohabitation d'un homme et d'une femme mal assortis, découvrant très rapidement qu'ils ne partagent pas tout à fait la même conception de l'idylle exotique et du paradis paresseux. Loin, très loin de la robinsonnade annoncée.
De manière tout à fait surprenante et improbable, Nicolas Roeg parvient à tisser une atmosphère originale et bizarre de ce postulat de départ rachitique, en instillant peu à peu les ingrédients discrets d'une discorde qui détruira le magnifique paysage. Elle rêvait d'apprendre à survivre sur cette île dotée d’un incroyable potentiel, un peu à l’image d’un peuple primitif profitant de la faune et de la flore locales, mais lui avait tout simplement prévu de vivre d'amour et d'eau fraîche (fraîchement et régulièrement envoyée par son éditeur, comme une avance sur la publication du livre retraçant cette expérience à paraître) et de se repaître de sa monumentale flemme. Aventurier dans les mots (cette façon de déclamer "I believe in our future here" avec grandiloquence...), mais pas vraiment dans les actes. Malheureusement, emmuré dans son obsession contemplative et voluptueuse, il perd l'assentiment de sa conjointe qui en retour refuse de faire l'amour — alors que, rappelons-le, elle passe l’essentiel de son temps à marcher dans le sable blanc et à nager dans les lagons avoisinants dénudée. Au final, c'est bien elle qui se révèlera la plus apte à vivre dans ces conditions et sous ces latitudes, avec le désir et la force de caractère nécessaires. Ce sera le point de départ d’une longue hystérie bicéphale, principalement articulée autour d’une série de monologues, décrivant une situation d'incommunicabilité délirante, ponctuée par-ci par-là d'infections et de maladies assez peu glamours. Sur un rythme vraiment très étrange, avec un sens très singulier de la poésie et de l’attente, le paradis annoncé se transforme en un purgatoire parfaitement insolite.
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