C’est un objet bien étrange qui nous parvient. Alors que ce film était jusque-là voué aux tiroirs
poussiéreux d’une archive de production, le voici revenu et apprêté comme ces vieilles robes Saint Laurent ressortie des sous-sols de la célèbre maison de couture, des archives aux allures de morgue.
Olivier Meyrou a réalisé son documentaire consacré aux dernières années d’Yves Saint Laurent dans sa maison de couture il y a plus de quinze ans. Cet ami du couple Bergé-Saint Laurent devait ainsi être le témoin de la fin de carrière de celui qui est entre la fin du second millénaire et le début d’un nouveau millénaire le dernier Grand Couturier a demeuré le directeur artistique de sa maison parisienne. Avant lui, seul Mademoiselle Chanel et Cristobal Balenciaga ont tiré leurs révérences. Nous avons donc un film fait de souvenirs, de fantomes, maintenant que le maitre est mort, que le gardien du temple l’insupportable Pierre Bergé l’est aussi et que la maison YSL est désormais la maison Saint Laurent, c’est les archives d’un vieux monde qui défilent devant nous, les soupirs fatigués de l’époque de la mode de Paris, si élégante, si grandiose, entre le modernisme le plus droit et le souvenir du classicisme fastueux. Pierre Bergé a par la suite entériné la fin du documentaire, propulsé ce film aux oubliettes dont il n’est jamais sorti pendant quinze ans, seulement visible par les amis du documentariste et les cinéastes obsédés par les figures vieillissante du beau monde. A la vue du film il devient évident qu’il
est le principal inspirateur de la mise en scene de Bertrand Bonello pour son portrait magnifique mais contesté de Yves Saint Laurent réalisé en 2014 avec Gaspard Ulliel dans le rôle du couturier. Il donnait à voir le couturier dans sa période sombre et de gloire, l’artiste par excellence, entouré du vautour mais transi d’amour Pierre Bergé incarné par l’incroyable Jérémie Renier dont l’apparition dans le film de Bonello reprend trait pour trait celle de Pierre Bergé dans une scene de Célébration. Bergé avait préféré prendre le control sur l’illustratif film du publicitaire Jalil Lespert avec Pierre Niney adepte ici des musées Tussaux pour son interprétions lisse du couturier.
Les images que nous voyons dans ce film qui dure seulement une 1h15 mais qui dit beaucoup de choses sont celles du travail d’Yves Saint Laurent et des ouvrières alors que ce prépare en coulisse une nouvelle période dans la vie de la couture parisienne mais aussi dans la vie de Saint Laurent puisqu’il compte mettre fin a sa carrière, dés lors le temps des célébrations est arrivé. Nous voyons défilé Leaticia Casta, une fois puis deux puis trois « comme vous êtes belle » lui dit Saint Laurent dans le hall d’un hotel. Tandis que Saint Laurent est là comme un homme souffrant, encore dévoré par ses excès, il dérive dans les couloirs de sa maison, son chien moujik apparait à plusieurs. Le tout est ponctué par une interview d’Yves Saint Laurent, peut etre la derniere en tant que créateur. Pierre Bergé est dans son bureau puis dans les coulisses d’un défilé, fidèle a lui-même il engueule tout le monde, affiche son profond mépris pour les petits et les photographes, fait figure de compréhension non sans hypocrisie devant les syndicats CGT des ouvrières de la mode, donne son point de vue sur les œuvres caritative, se prend aussi pour Ramsès II le temps de rendre à l’obélisque son pyramidion d’or, gueule au
téléphone, gueule contre son assistante, Bergé est un élément de chaos qui contient sur lui-même l’ordre complet de l’empire de la mode dont il est le dirigeant, meme le garant.
Cette magnificence est un lien constant dans Célébration, la figure mythifiée de Yves Saint Laurent est désormais celle d’un homme vieux et brisé, il semble mort, il bouge comme un pantin fantomatique, le regard perdu dans un vide blanc, la manche souvent tirée par un Pierre Bergé qui agit tel Virgile comme le passeur de notre monde vers un autre. La fatigue de Saint Laurent et sa fragilité mentale que l’on n’avait jusque-là jamais vu d’aussi prêt est sans doute la raison principale qui pousse Pierre Bergé à stopper la réalisation et la diffusion du film devenu invisible. Bergé se moque peut etre de se montrer aussi tyrannique et insupportable, attaché a son empire comme un camé à sa coke, ne vivant que pour l’argent et surtout pour le prestige du nom de son amour fou Yves Saint Laurent. Le dernier plan montre Pierre Bergé avançant dans un jardon, désormais il marche seul, un contraire de la fin des Temps Moderne de Chaplin, les Temps ont changé, comme la mode désormais gangréné par le commerce et la publicité, l’élégance de l’ancien est maintenant la vulgarité assumée de son monde que vers la fin de sa vie Yves Saint Laurent ne comprenait plus, lui qui s’imaginait avec Mademoiselle Chanel à la rue Cambon devant les vitrines de la boutique Chanel par Karl Lagerfeld, ils se mettent a pleurer. La Coco détestait tout le monde, méprisait la nouvelle mode, sauf Saint Laurent, le seul pour elle, l’histoire a donné raison à Mademoiselle Chanel.