Wiseman se tient à une méthode établie dès son premier documentaire, Titticut Follies : choisir un cadre, souvent institutionnel, y filmer pendant quelques semaines ce qui peut se dérouler d'intéressant sous sa caméra, puis passer des mois à monter les heures de "rushes", pour aboutir à une suite de scènes sans transitions, sans commentaires.
Etape cruciale, le montage reste assez neutre : Wiseman évite les rapprochements générateurs d'humour et de sens. Il n'y a pas particulièrement d'effets de style : certes, il simule, du lever du soleil à son coucher, un jour typique dans la vie du parc, mais filmant un concert, il laisse in extenso un morceau (ici le chant militant "beds are burning" de Midnight Oil).
Non, ses films sont plutôt des documents, des témoignages sur une tranche d'une époque - d'où la fixation d'un cadre limité, à l'intérieur duquel se produira ce qui se produira. Libre à chacun d'examiner les limites propres à ce cadre : du moins est-il explicite, et rend-t-il compte d'une situation ; à nous ensuite de comparer, et de réfléchir aux conditions qui ont modelé ce cadre et le film qu'y a tourné Wiseman.
Même cette relative neutralité reste orientée par les forces (institutionnelles ) à l'oeuvre dans le contexte filmé. Ainsi, dans le cas de "Central Park", entre-t-on dans les bureaux de l'association chargée de gérer le parc. Une scène montre un débat sur la manière d'empêcher les nouveaux vélos tout terrain de circuler sur les pelouses. Dans une autre, une contractante privée expose l'efficacité de sa stratégie d'obtention de subventions privées ; et plus loin nous voyons une réception au cours de laquelle sont approchés les contributeurs potentiels. Puis des scènes montrent des travailleurs salariés et bénévoles se consacrant à l'entretien du parc.
Si Wiseman s'était contenté de poser sa caméra au hasard, il ne nous aurait pas montré ces coulisses.
Chaque citoyen américain a supposément accès au fonctionnement des institutions publiques, et tout doit pouvoir être filmé dans un souci de transparence et d'éducation - Wiseman est régulièrement financé par une chaîne de télévision éducative. L'examen des institutions par le public a ses limites, néanmoins c'est un idéal vers lequel doit tendre une véritable démocratie.
Un travail comme celui de Wiseman ne remplace pas le journalisme d'investigation, même s'il permet déjà de constater un décalage entre les discours officiels et la réalité.
Son oeuvre participe de cette publicité (au sens de res publica, chose publique), et contribue au fonctionnement de la démocratie.