Le cinéma de Kelly Reichardt me fait du bien. Je l’expliquais déjà il y a dix ans lorsque j’évoquais le bouleversant Old Joy. Depuis, de Wendy et Lucy à Night Moves, en passant par le chef-d’œuvre La Dernière Piste, la réalisatrice n’a cessé de dérouler son style unique. Au milieu de tant d’œuvres en tout genre qui surligne et « surdramatise », le cinéma de Reichardt est une bouffée d’air frais, l’impression de prendre une grande respiration. Son sens du non-dit, du hors-champ, touche au génie. Au lieu de tenir la main du spectateur, elle laisse une liberté quasi-totale à l’interprétation, à l’imagination, au ressenti. Point de manichéisme, encore moins de résolution, tout chez Reichardt est à la fois réaliste et étrange, anodin et poétique, minimal et mystérieux. Loin d’être vide ou creux, ce cinéma est au contraire éminemment engagé, politique, philosophique.
Certaines Femmes en est une nouvelle preuve, avec ces trois histoires de femmes, de solitudes et de déchirures sociales. Toujours en esquisses, où chaque plan et chaque réplique contiennent davantage que les grands bavardages des drames lacrymaux qui en font trop. Et quelle beauté ! Quel talent pour filmer les êtres et les paysages, malgré la détresse, malgré la rudesse. C’est d’une délicatesse infinie, d’une justesse totale. Et bizarre, inhabituel, propre à diviser les spectateurs. Kelly Reichardt ne fait pas l’unanimité, beaucoup déteste, s’ennuie, ne comprenne pas. Comme avec Terrence Malick, il y a une forme de déclic, une sensibilité qui se met à l’œuvre. Une fois qu’on a « vu » le cinéma de Kelly Reichardt, qu’on l’a ressenti, tout devient évident. C’est une des plus grandes cinéastes de notre époque, chacun de ses films est un nouveau trésor.