"On se souvient que Wendy et Lucy s’ouvrait sur des plans rapprochés de wagons et de rails, qui annonçaient la piste que le personnage de Lucy allait finalement emprunter (dans le dernier plan, depuis le wagon d’un train lancé vers le Nord, elle observe le paysage qui défile). Certain Women s’ouvre sur un plan de prime abord similaire : une locomotive traverse un paysage de plaines et de montagnes. Seulement, cette vision inaugurale s’offre ici moins comme le premier jalon d’une trajectoire, que comme un épiphénomène qui vient à peine ébranler la quiétude du plan : le foyer du mouvement (la voie ferrée) n’est plus comme dans Wendy et Lucy, où il était cadré de près, l’impulsion première du récit. Au contraire, filmé à distance, il n’est que l’infime partie d’un frêle diorama : une entrée minimale dans la fiction, en somme, qui induit d’emblée la possibilité d’une sortie de rail. C’est que l’art du portrait auquel Reichardt nous avait habitués dans ses précédents films, se déploie ici dans un maniérisme dissimulé sous une sobriété trompeuse, mû par une tension subtile entre un travail de miniaturiste sur les décors et une topographie d’une ampleur cosmique, qui inscrit les personnages dans la légende du territoire : dès l’ouverture du film, qui enchaîne les citations de Hopper et de Wyeth, s’annonce une architecture de maison de poupée, que viendront compléter les amorces des parties suivantes, respectivement dans l’espace confiné d’une tente puis à l’intérieur d’un box. La minutie de ces compositions permet à la cinéaste de marquer d’autant mieux le contraste avec le vertige des grands espaces, qu’elle saisit avec une virtuosité de paysagiste, sans pour autant perdre de vue sa veine portraitiste : dans le dernier plan de la seconde partie, le visage de Michelle Williams voilé par le paysage qui défile sur la vitre de la voiture, en est la parfaite illustration.
Partant, Kelly Reichardt opère une constante déstabilisation du regard : tout en enracinant ses personnages dans un microcosme prosaïque, elle les abandonne à leurs errements dans une immensité aussi aride qu’accueillante (en ce qu’elle appelle à la liberté), terrain d’une poétique de la déviation (jusqu’à la sortie de route, pour le personnage de Jamie) et de la dérivation. (...)"
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