César doit mourir repose sur un dispositif narratif assez complexe, à la croisée du documentaire et de la fiction. Les frères Taviani suivent les répétitions d’une pièce de théâtre en prison, dont on nous montre en préambule, - et en couleur, tout le reste du film étant en noir et blanc- la représentation triomphale à la suite de laquelle les comédiens retournent dans leurs cellules.
L’expérience est au départ réelle : ce sont bien des détenus qui jouent les rôles et répètent le Jules César de Shakespeare, mais se complique dans la mesure où il ne s’agit pas d’un strict documentaire. Les répétitions sont ainsi écrites, et les disputes entre les comédiens – pour qui les tensions de codétenus prennent parfois le dessus – sont elles aussi jouées, tout comme ces séances de répétitions dans les murs de la prison qui prend soudain des allures de décor antique.
Si la dimension cathartique du théâtre et la confusion que ce texte ancestral entretient avec la brulante actualité des individus est traitée avec un peu de didactisme, le film prend davantage son envol dans la gestion des espaces : les cinéastes donnent à voir la métamorphose d’un décor imposé, l’univers carcéral, par le texte qui s’y épanche. Les cadrages, la très belle photographie en noir et blanc, l’exploitation des cellules, des grilles, cours extérieures ou des corridors génère une symbolisation très pertinente, qui dit avec intelligence la capacité de la littérature à sublimer ou révéler les aspirations individuelles. Voir les détenus hurler, en citant Shakespeare, « Liberté » résonne ainsi avec une intensité singulière.
L’autre réussite du film tient à sa capacité à nous familiariser avec ses interprètes. Les mines patibulaires initiales deviennent rapidement des visages auxquels le spectateur s’attache, et l’évolution du prisonnier au personnage est tout à fait palpable. Le retour au réel, par l’enfermement final qui répète la séquence du prologue n’en sera que plus déchirant ; comme l’affirme un détenu : « Depuis que j’ai connu l’art, cette cellule est devenue une prison ».
Cette cohabitation entre le documentaire et l’esthétique volontairement factice aboutit à un équilibre tout à fait salvateur, qui permet la respiration aux détenus comme l’empathie de ceux qui les contemplent : rien que sur ce point névralgique, César doit mourir est une réussite.
(6.5/10)