" On fait quelque chose de mal ? "
Autant vous le dire, et depuis le temps que je l'écrit, j'aime les rencontre au cinéma, de celles qui créer de l'émotion, celles auxquelles on ne s'attend pas vraiment qui sont comme des bouées de sauvetages au milieu d'un océan de désespoir. Ici, le désespoir a de quoi se faire sentir: Bertrand vient tous les jours depuis cinq ans au chevet de sa femme malade d'un cancer du sein. Son quotidien c'est l’hôpital tous les après-midi qu'il faut rejoindre dans des trajets interminables depuis la banlieue. Et puis, comme le sont souvent les personnages de Lindon encore une fois ici parfait de maîtrise et d'émotion partagée comme lui seul sait le faire, Bertrand est surtout un handicapé des sentiments: incapable de se réconcilier avec sa soeur à qui il ne parle plus depuis 5 ans et de construire une relation avec sa belle-fille qui grandit en s'éloignant de la mort de sa mère qu'elle redoute, il est finalement seul, très seul avec son dévouement presque christique à sa femme.
Si le film s'était contenté de dresser ce portrait de l'homme dévoué et meurtri, on aurait eu un énième film sur les hopitaux et la maladie ou encore la déchéance (à l'image de l'étouffante déchéance filmée par Haneke dans "Amour") mais la démarche d'Anne Le Ny se démarque ici par deux aspects; d'abord on ne voit, et c'est une belle réussite, jamais les malades: on reste au seuil des chambres: pas de pitié, d’apitoiement, de corps reliés à des machines, rien que la maladie dans le regard de ceux qui restent et une question: jusqu'où va le dévouement ? Nous n'aurons de la vie heureuse et amoureuse de Bertrand avec sa femme qu'un succin résumé lorsqu'il décroche les quelques photos de leur amour accroché à un panneau dans la chambre d’hôpital. La deuxième force du film se trouve dans le personnage de Lorraine, interprété avec fraîcheur par une Emmanuelle Devos très en forme. Une femme "libérée" de tout: de l'amour, de la morale, du carcan d'une vie trop fermée, de femme dévouée à son amoureux malade. Elle qui a vécu comme un sacrifice déjà immense son emménagement avec son homme qu'elle connait depuis peu elle vit comme un sacrifice encore plus extrême et impossible la déchéance du corps d'un homme qu'elle ne pense même plus aimer. Ce qui frappe dans ce personnage c'est l'à côté de la conscience attendue: on aime le malade jusqu’au bout dans un dévouement religieux intense. Ici, point d’apitoiement: Lorraine fait de l'humour sur la maladie, elle rit, elle refuse de se plonger dans le désespoir et surtout elle ne pense pas "tenir 5h".
La question que soulève alors le film est celui de la bonne conscience qui consiste toujours à croire que les épreuves nous révèlent grands et forts alors que Lorraine se révèle perdue et lâche. Le film se pose alors complètement du côté de ceux qui restent et qui tentent de continuer à vivre, s'éprennent avec violence puis regrettent d'avoir cédé à l'amour inconsistant à l'arrière d'une voiture. Surtout, Bertrand est happée par cette femme qui ne lâche jamais, " tu vas pas me faire le coup de la femme que t'as baisée et à qui tu peux plus parler comme à un être humain. C'est fait, c'est pas glorieux, mais c'est pas un drame". Ces deux là sont des refuges l'un pour l'autre dans leurs trajets en voiture quotidiens ils ne savent plus pour qui ils viennent, pourquoi, la seule chose dont ils veulent se persuader, c'est que ça n'est pas de l'amour ... en tout cas c'est un cap, une renaissance, celle qui donne à "ceux qui restent", la force de vivre encore malgré tout ...