Glaçant sur certains aspects, je pense que ce film ne peut pas laisser de marbre. Je comprends que l'on n'aime pas vraiment, ça ne remue pas, l'atmosphère est lente et pesante, c'est "rigide" et non "rêveur", mais ce film a des qualités indéniables, et touche pour moi un sujet important : notre rapport au travail dans la société de marché.


Car oui, ce film, il va falloir l'aborder de façon politique. Le film nous y enjoint par son titre, repris mot pour mot par ce père de famille, adressés au petit-ami d'une de se filles "Tu es de ceux qui travaille ou tu ne l'es pas ?". Cette référence donne d'emblée le sociotype de Frank, un rapace dans son milieu de cadre des transports maritimes de marchandises en tout genre ("Tout ce qui s'achète et qui se vend"), qui teste politiquement le prétendant d'une de ces filles, dont on comprend qu'il ne l'accepterait pas "gauchiste". On a donc affaire à quelqu'un pour qui la valeur travail est un pilier, un homme qui réifie le mythe du self-made man parti de rien, fils d'agriculteur qu'il est. Et il se retrouve obligé de démissionner par son entreprise en se voulant faire le choix du profit au dépens de l'humanisme. Le film tourne donc autour de la morale dans le système capitaliste. Derrière, il se rend compte qu'il a délaissé sa famille et alors le spectateur se trouve dans une position ambiguë : compatir pour cette homme qui sacrifie sa vie pour donner une ascension sociale à ses enfants qui souffre de ne plus travailler ? Compatir devant les caprices de son fils, hypocrite lui reprochant son inhumanité mais souhaitant le dernier iPhone payé par son père sans se questionner sur comment est construit le-dit téléphone ? Compatir pour cet homme qui ne peut se définir que par son travail le rendant pire que honteux de le perdre ? Ou se dire qu'au fond, ce n'est qu'un cadre (un bourgeois diraient les plus marxistes d'entre-nous) qui peut retomber sur ses pattes comme il le souhaite, qui garde sa maison avec piscine, qui perd son emploi de façon méritée tant il a été inhumain (et ne regrette pas ses actions "pour les profits de l'entreprise") ? Puis qu'est-ce que cette souffrance à côté de la souffrance des subordonnés de Frank au travail ? C'est là que je trouve le film intéressant.


Car la douleur de Frank, on la ressent, le film est bien fait de ce côté-là : pas de musique pour une ambiance pesante, réelle. Camera parfois lente, plans fixes, caméra embarquée dans la voiture qui offre peu de mouvements à voir. Couleurs froides et grisées, et le jeu de l'acteur est parfois très fort (quand il se rend compte qu'il est allé un peu loin, ou dans le magasin pendant le shopping, on sent la souffrance, il est au bord des larmes. Il craque même à un moment, s'effondrant devant l'assistante sociale alors qu'il est un homme dominant normalement imperturbable).


Il pense au suicide puis la journée de travail avec sa fille le sauve.


Mais est-il vraiment "sauvé" ? Car au fond, il finit par accepter l'offre de travail, tout aussi peu morale au service du profit par tous les moyens. Il dort toujours sur le canapé et au final, il n'a pas tant évolué de cette leçon.


Niveau mise en scène, il y a de l'idée parfois, notamment le moment où il reste chez lui la première fois, télé allumée en fond mais floutée pour montrer qu'il n'a plus aucun intérêt. Ou encore quand il se "met à nu" en révélant enfin à sa femme ce qui le travaille, en étant réellement dénudé.


Il manque tout de même du développement de personnages : ses enfants et sa femme sont presque des plantes vertes sauf la petite dernière (peut-être un choix du réal pour montrer à quel point il délaisse sa famille, car le film prend le point de vue de Frank en continu). Mais cette fin froide, fataliste, concluant un film toujours ambiguë m'a plu par sa gravité et sa représentation de la souffrance au travail.

LeTestard
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le 25 mai 2020

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Le Testard

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