Une magnifique réflexion sur la création artistique.

L'histoire de l'amitié et de la rivalité entre Paul Cézanne, peintre impressionniste et père fondateur de l'art moderne et d'Emile Zola, écrivain chef de file du mouvement naturaliste dans la France tourmentée du XIXe siècle. Ils s’aimaient comme on aime à treize ans : révoltes, curiosités, espoirs, doutes, filles, rêves de gloire, ils partageaient tout. Paul est riche. Emile est pauvre. Ils quittent Aix, montent à Paris, pénètrent dans l’intimité de ceux de Montmartre et des Batignolles. Tous hantent les mêmes lieux, dorment avec les mêmes femmes, crachent sur les bourgeois qui le leur rendent bien, se baignent nus, crèvent de faim puis mangent trop, boivent de l’absinthe, dessinent le jour des modèles qu’ils caressent la nuit, font trente heures de train pour un coucher de soleil. Aujourd’hui Paul est peintre. Emile est écrivain. La gloire est passée sans regarder Paul. Emile lui a tout : la renommée, l’argent, une femme parfaite que Paul a aimé avant lui. Ils se jugent, s’admirent, s’affrontent. Ils se perdent, se retrouvent, comme un couple qui n’arrive pas à cesser de s’aimer.


Sur ce canevas, soit la vie de deux grands artistes que la création tourmente comme tout vrai artiste, ces deux-là ne vont cesser de s’affronter face à des destins opposés où l’un connait enfin la renommée et où l’autre se heurte avec violence à ses doutes et à son incapacité à se plier aux réalités quotidiennes, où l'un, né pauvre, devient riche et ou l'autre né avec une petite cullière dorée dans la bouche se retrouve démuni après avoir rompu avec les siens. Cézanne, contrairement à Zola, ne s’abaisse à aucune concession ; ce tempérament violent, volcanique, coléreux, grossier est admirablement campé par un Guillaume Gallienne qui trouve là un rôle à sa mesure et crève l’écran par une présence bouleversante de réalisme et de sensibilité qui finit par porter ombrage à l’interprétation, pourtant parfaite, de Guillaume Canet dans le rôle d’Emile Zola, personnalité plus lisse, plus consensuelle et d’une infinie compréhension à l’égard d’un ami dont il s’afflige qu’il use des dons qu’il possède tout autant pour peindre que pour se détruire et se faire détester. Ce duo de deux personnalités en train de bâtir une œuvre de façon totalement opposée, Cézanne en l’élaborant dans un paroxysme de souffrance et de négation, Zola en épousant les soucis et les incompréhensions de son époque et en essayant d’y remédier et d’en rendre plus visible les inégalités et les scandales ; l’un enfermé en lui-même, victime de son génie incompris, l’autre en captant les ondes d’actualité d’un art qu’il cherche à renouveler et dont il subit les aléas avec une évidente lucidité. De ce dialogue empli de contradictions qui traverse leur vie, de leur enfance à leur maturité, Danièle Thomson nous donne une version pleine d’orages et d’images sublimes dues à la caméra inspirée de son directeur de photos Jean-Marie Dreujou qui sait harmoniser les scènes et nous les restituer dans une sorte de re-création subtile et colorée de l'époque, époque où les femmes semblent sortir tout droit d’une toile de Degas ou d'Auguste Renoir, magnifique succession de scènes travaillées avec talent. Les dialogues crus et émaillés de tous les jurons du répertoire peuvent parfois un peu agacer, mais c’est mené avec maestria, les flashes-back offrent un narratif moins linéaire et d’ailleurs les dates sont toujours indiquées de façon à ce que le spectateur ne perde pas le fil de l’histoire. Un film qui rend sensible les douleurs multiples des génies, les souffrances de la création, les doutes, les vies menées à hue et à dia sur cette ligne infiniment ténue qui est celle de l’homme en proie aux vertiges de son inspiration. Les acteurs sont magnifiques, les femmes belles et le film est une heureuse surprise. Une très heureuse surprise après celle toute récente de "Frantz" de François Ozon. Le cinéma français reprend des couleurs grâce à eux. 1

Armelle_Barguillet_H
8

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Créée

le 22 sept. 2016

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