Potentiel chant du cygne zulawskien de mon panthéon personnel Szamanka demeure également l'une des oeuvres les plus fascinantes du réalisateur polonais. Impudiquement mystique, occulte et frénétique cette pépite méconnue du grand et regretté Andrzej nous entraîne tout à trac dans les rues et les bâtiments publics et privés de la capitale polonaise au gré d'une caméra en constante effervescence, présentant son héroïne avec un curieux désir mêlé d'attraction et de répulsion ; femme étrange, vampirique, aux confins de la monstruosité ladite "italienne" incarnée par une Iwona Petry à la beauté diabolique fait figure de créature ultra-sexuée, comme de passage dans une ville peuplée de fous, d'hommes puissamment dominateurs et d'étudiants tortueusement morbides et chevronnés... Elle finira par provoquer la perte de l'anthropologue Michal, chercheur fraîchement tributaire d'un quidam chamanique vieux de 25 siècles à l'orée du métrage.
C'est fou, techniquement renversant et entièrement au diapason du restant de l'Oeuvre de Andrzej Zulawski : goût prononcé pour les passions extrêmes, hystérisation dramaturgique et trivialité accouplée à d'incessantes piques d'érudition ontologique. Allant au fond des choses et philosophiquement malaisant voire perturbant Szamanka laisse le sentiment miraculeux de chercher à pénétrer l'âme humaine à renfort de rayons X intenses et sidérants, jouant en permanence des mécaniques et des pensées de l'Homme tout en proposant - de façon agressive certes - une réflexion sur la condition humaine en l'envisageant sous le prisme de la matière et de l'imagination.
Jamais de mémoire film nous aura semblé retranscrire aussi bien la dimension spasmodique d'un ébat charnel, mettant en scène l'orgasme à la manière d'une transe dérangeante et excitante dans le même mouvement de maîtrise. La violence des images, éblouissante et souterraine, n'est pas sans rappeler certains des meilleurs moments du cryptique et très angoissant Possession tourné quinze ans plus tôt, violence allant par ailleurs de concert avec une loufoquerie parcimonieusement distillée par Zulawski et renvoyant au cintré L'amour Braque. Ajoutons à tout ceci une partition redoutablement flippante composée par Korzynski en personne et des ruptures de ton sérieusement désarçonnantes et l'on obtient sans doutes le dernier grand film d'un cinéaste aux allures de démiurge sensualiste et démoniaque, ayant redonné toutes ses lettres de noblesse à la notion d'Art baroque. Une merveille d'angoisse et d'exubérance.