La nostalgie prend une part croissante dans l’œuvre récente de Christophe Honoré. Après s’être penché sur son passé breton dans Plaire, aimer et courir vite, les expériences fantaisistes de Chambre 212 poursuivent cette métamorphose du regard, où il ne s’agit plus simplement de regarder la jeunesse, mais davantage de se pencher sur la sienne, et ce qu’elle a de révolu.


Le dispositif scénique de son nouveau film, très théâtral, fonctionne avant tout sur l’unité de lieu : un appartement dans lequel se déchire un couple qui accuse 20 ans de vie commune, et l’hôtel d’en face dans lequel l’épouse va se réfugier pour la nuit, le temps d’une réflexion qui pourrait conduire à la rupture définitive. De cette chambre 212, le surplomb offre une vue splendide sur une rue qui se couvre de neige, paysage propice au souvenir et à l’émergence de la fiction, habilement suggérée par la place prépondérante qu’y occupe un cinéma et ses affiches.


Les thématiques chères au cinéastes – et, pourront dire les contempteurs, à cet archétype de la survivance d’un certain cinéma français très marqué par la Nouvelle Vague – restent les mêmes : le couple, la fidélité, et la perte des idéaux face aux ravages du temps. Chiara Mastroianni, qui ne cesse de gagner en lumière au fil des années, prend les rênes d’une crise conjugale où les rôles sont savoureusement inversés : Monsieur est l’homme d’intérieur, tandis que Madame fait sa crise de la quarantaine en allant entretenir ses élans de résistance juvéniles dans le lit de la jeune génération. Voir Benjamin Biolay rester à la maison, lancer une machine et s’inquiéter de sa décrépitude physique offre ainsi quelques séquences qui s’apparentent à une véritable science-fiction, et tordent un peu le coup à la dimension supposément galvaudée du sujet. Chambre 212 est surtout un portrait de femme, qui prend le contre-pied des clichés inhérent à tel angle, et déplace la parité jusqu’à octroyer des défauts typiquement mâles à une épouse en mal de frissons.
Le principe se retrouvera sur l’autre protagoniste, à savoir la prof de piano qui va croquer du jeune homme dans un épisode du passé s’invitant pour jouer les troubles fête à l’heure des bilans.
Car c’est là l’originalité du récit, que de faire cohabiter un espace avec différentes temporalités. La version jeune (Lacoste) du mari resté en face débarque ainsi chez l’épouse fuyarde, et verbalise les enjeux avec la fraicheur qui caractérise son âge, suivi bientôt par son amour de jeunesse (sa professeur de piano, donc, l’occasion pour Camille Cotin de sortir de ses ornières habituelles et livrer une très touchante prestation) qui entreprend la reconquête de sa version contemporaine. Les époques se mêlent, les portent s’ouvrent sur diverses apparitions sans que personne ne s’en étonne vraiment, dans une tonalité qui rappelle très souvent le cinéma de Bertrand Blier. C’est dans les moments les plus lyriques qu’Honoré s’en sort le mieux, notamment dans son exploitation décomplexée d’une BO qui joue volontiers avec le miel doré des tubes (Caterina Valente, Barry Manilow, mais aussi Aznavour dans une perspective un peu plus parodique) pour exacerber les sentiments en présence.


Le jeu devient progressivement foutraque et part dans des directions un peu trop disparates pour pleinement convaincre, jouant de la bouffonnerie, des effets sonores ou du grotesque pour revenir brutalement à l’atmosphère initiale. Même si l’on comprend qu’il s’agit aussi d’une position de surplomb sur les émotions contradictoires d’un bilan général de vie, et d’une certaine lucidité tendre dans le regard du cinéaste sur ses personnages, l’équilibre reste précaire et certaines séquences semblent plus maladroites qu’expérimentales.


Il reste tout de même cette belle partition où les mélodies les plus belles sont celles qui se passent de paroles, paradoxe fécond pour un film aussi verbeux : dans les regards de part et d’autre de la rue, par la noyade dans un passé qui ne ressurgira pas comme il peut le faire dans les fantasmes, dans l’incendie brutal d’un contrechamp qui révèle, subrepticement, la cendre sur laquelle doit se construire l’élan vers la prochaine étape.


(6.5/10)

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le 10 mars 2020

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Sergent_Pepper

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