C'est typiquement un film raté [pas simplement mauvais ou insignifiant], donc avec des armes et des succès, un potentiel gâché et une stérilité qui n'arrive qu'à contenir [pas écraser] de plus grandes qualités – la performance de Karin Viard, dans une moindre mesure celles de ses camarades et des monteurs qui habillent un film gravement chancelant, comme dépouillé ou investi par intermittence. Le scénario est décousu, les dialogues faiblards et parfois anormalement factuels ou informatifs ; le malaise n'est pas aussi patent que la difficulté à en venir au cœur du ou des problèmes : elle est louche, elle le sera de plus en plus. On avance vers un final terrifiant, mais crétin, prenant l'option outrancière et facile, alors que craquer définitivement le vernis aurait ouvert au véritable inconnu, aurait pu sidérer pour de bon.
Karin Viard s'est donnée pour le rôle d'une vie dans un emballage falot et un film né avant terme. Il ressemble moins à son personnage qu'à celui d'Antoine Renartz : généralement dans le déni, le caprice refoulé, la circonspection molle et la niaiserie démissionnaire, mais traversé d'intuitions justes, ponctuellement secoué, la conscience rétrécie mais éclairée par la colère. Chanson douce est tellement déséquilibré que son irrégularité remplace la montée en tension. On introduit la folie de madame sur le tard pour enchaîner vers le sommet du mal, au lieu de creuser le personnage et d'avouer quoique ce soit de concret, hormis son statut prolétaire. On ne saura rien de son passé et ne peut que spéculer (noyade de sa fille ? mythomane complète ?) ou apprécier les écarts graphiques en se demandant s'ils reflètent une culpabilité, un attentat intime, des dérives de l'imagination d'une fille perdue ?
Tout le long on sent le film près de commencer à aborder un sujet sérieux, toucher quelque chose sur le plan psychologique, ou bien social, ou bien moral, ou familial ; tout le long c'est la fuite en avant, avec un casting excellent au service d'une histoire et de personnage inachevés. À son meilleur Chanson douce donne un aperçu d'une inquiétante banalité de la perversion d'une personne, de l'emprise exercée sur des enfants (avec les réponses ambiguës de Mila). Le film cherche les frontières entre le normal sain, l'acceptable, le régressif usuel et le malsain ; la grand-mère Sylvie pourrait être un complément optimiste et adapté pour démolir l'intimité et l'intégrité de ces enfants – ou bien c'est la mamie truculente par excellence ? Comme ce film ne veut pas se reconnaître de morale ni de jugement, il ne se permet pas grand chose de pertinent. Il se contente de suggérer la présence du mal que chacun ignore ou sent confusément, jusqu'à ce qu'il exulte et emporte tout – bien sûr c'est déjà conséquent, mais c'est s'embarquer sur ce chemin qui l'est, pas la façon dont s'y prête le film.
Finalement l'exercice est commun et nous avons à faire à une nouvelle introvertie 'psycho', une sorte de cousine des variétés d'Huppert. Si on croit ce film la solitude est nécessairement malheureuse ou bien le refuge des monstrueux. On est près de traiter de la perversion insoupçonnable et des pervers aux bonnes apparences, à la place nous avons simplement une tarée avec une existence merdique – donc oui, l'honneur des gens de bien et de nos chers repères est sauf. Car ce que n'ont pas vus la boulangère et les amis prêts à complimenter la brave nourrice, ce n'est pas simplement de mauvaises intentions, une manipulatrice.. c'est une sombre et pauvre folle, intimidante et lamentable à la fois ; une déviante qui marche à côté de 'nous' tous. Les auteurs semblent ne rien pouvoir entendre à ce qui peut faire des personnalités ou des réalités inconfortables ; ce film donne d'ailleurs un bon exemple de la supériorité des acteurs sur les auteurs et réalisateurs, puisque les premiers n'ont pas besoin de comprendre pour se mettre raccord, au moins le sembler solidement, avec leurs personnages.
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