Cette fable effrayante signée Jack Clayton est un mélange détonnant de drame, d'horreur et de violence psychologique. Un film injustement méconnu, qui se révèle pourtant être l'une des œuvres les plus inclassables de l'histoire du cinéma. Etonnamment, Clayton a désavoué ce film une fois fini, jugeant son scénario mauvais, mais il s’agit tout de même d’une œuvre méritant le coup d’œil, bénéficiant notamment d’une superbe direction d’acteur et sachant se montrer touchante, malgré un ton globalement très sombre. Si vous aimez tout ce qui se rapporte à l'étrange, l'inhabituel, le distinctif, Our Mother's House est clairement fait pour vous.


Avant de développer, faisons un rapide détour par le synopsis:


L'intrigue du film se concentre sur une fratrie de sept enfants: Elsa (Margaret Brooks), Diana (Pamela Franklin), Hubert (Louis Sheldon), Dunstan (John Gugolka), Jiminy (Mark Lester), Gerty (Sarah Nicholls) et Willy (Gustav Henry) qui vivent avec leur mère pour seul parent, leur père étant parti depuis des années, lorsque leur mère décède soudainement, ils décident de l'enterrer eux-mêmes et de continuer à vivre comme si de rien n'était, effrayés à l'idée d'être séparés et envoyés dans un orphelinat. Chaque soir, à neuf heure, ils se recueillent sur la tombe de leur mère cachée dans le jardin. Un jour, leur père, Charlie Hook (Dirk Bogarde), réapparaît sans prévenir, les enfants vont s'efforcer de lui cacher la vérité tant que faire se peut...


Il règne une humeur automnale dans ce film, un sentiment d'innocence s'évanouissant lentement, couplé à une invisible menace et ponctué de moments macabres. Bien aidé par la superbe photographie ombragée de Larry Pizer et la partition à la fois mélancolique, délicate, féerique et sinistre de Georges Delerue, le réalisateur Jack Clayton crée une atmosphère étrange et mystérieuse qui provoque à la fois le frisson et la fascination. Clayton confirme surtout qu'il est un directeur d'acteur formidable, particulièrement en ce qui concerne les enfants, la prestation de Pamela Franklin dans le classique "Les Innocents", du même réalisateur, faisait déjà figure de modèle du genre avant la sortie de ce film, et elle se révèle tout aussi intense et incroyable ici, ce qui est finalement le cas de tous les enfants du casting, y compris le jeune Mark Lester, qu'on verra un an plus tard dans Oliver!, c'est un vrai plaisir de voir cet acteur très sous-estimé livrer une prestation tout à fait crédible dans un rôle difficile. Il est surtout très plaisant de voir chaque enfant réagir à la tragédie du scénario de façon réaliste. La différence de compréhension entre les plus âgés et les plus jeunes des enfants est ainsi traitée de façon intelligente, chacun réagissant de manière différente, Elsa, l’aînée, essayant de garder les choses en place, Dunstan citant des verstes de la bible, et Hubert souhaitant qu'un adulte soit de nouveau présent dans leur vie, tandis que les plus jeunes des enfants ne semblent pas vraiment touchés par la situation, jusqu’à ce qu’ils finissent par apprendre ce que signifie la mort.


L’intrigue se concentre plus précisément sur Diana, la plus empathique et passionnée des enfants, qui semble capable de garder l'esprit de sa mère en vie, la laissant s’exprimer à travers elle. Les scènes de recueillement sur sa tombe sont vraiment éprouvantes et finissent par prendre des airs réellement glauques quand "mère" commence à ordonner des punitions contre certains des enfants. Le ton de ce film n’est cependant pas uniquement sombre, on assiste à certaines scène lumineuses, où Clayton parvient à capter l’alégresse pure de l’enfance. Comme dans une joyeuse séquence impliquant un camarade de classe "kidnappé" (joué par un Parnham Wallace qui affiche une charmante perplexité), et diverti par ses ravisseurs, dont Dunstan portant un chapeau haut de forme surdimensionné, Jiminy grimé en traînée, et Diana arborant une énorme fausse paire de seins comiques.


Le scénario, qui pour la petite histoire est adapté d'un roman de Julian Gloag sorti en 1963, a été écrit par Jeremy Brooks et Haya Harareet. On y décèle une vraie intelligence structurelle et une forte perspicacité pour développer plusieurs thèmes forts, allant du lyrisme poignant à l’angoisse la plus totale et sinistre, bien que Clayton n’ait semble-t-il pas apprécié ce script, et considéré le film comme un échec une fois fini. Pourtant, dès l’arrivée du personnage de Bogarde, le film prend un vrai envol narratif, se dirigeant dans une direction potentiellement très intéressante. Le traitement de la personnalité de ce père de famille absent de longue date est étonnant, ainsi, après avoir gagné la confiance de ses enfants avec une journée au parc, il introduit les garçons au péché (notamment en fumant et lisant Playboy) et réveille les désirs incestueux et effrayants de Diana. Son comportement scandaleux et dangereux pour ses enfants se confirme lorsqu’il commence à courtiser Mme Quayle, la ménagère mécontente, et à voler de l'argent, finissant par terroriser ses propres enfants. Les choses finissent tout de même par se rétablir dans un final sombre et troublant, qui répond en fait à une question constamment répétée à travers ce film; A savoir, pourquoi les enfants ne se ressemblent-ils pas? Et plus particulièrement, pourquoi ne ressemblent-ils pas à leur père?


Comme souvent, dans ce genre de production, on misera autant sur le formel que sur le symbolique, avec des enfants ayant littéralement sanctifié l’image de leur mère tout en étant momentanément séduits par la figure du père. La relation entre cette figure paternelle lointaine et la culture pop se révèle d’ailleurs des plus déstabilisantes, lorsque Charlie s'installe, on remarque une intrusion de musique pop, sur laquelle les jeunes frères et sœurs dansent le Twist, ce qu’Elsa prend pour un signe d'influence démoniaque, la culture pop se révèle par la suite omniprésente, notamment au travers de la bande-dessinée, ce n’est que lorsqu’elle se voit liée au thème du sacrifice, cher à Clayton, que l’on commence réellement à en saisir toute la portée symbolique. L’utilisation d’une prise de vue répétée pour souligner cette poussée de violence permet de donner à l’ensemble un aspect gothique angoissant, tout à fait raccord avec le thème général.


Bien que la réputation du film "Les Innocents" soit grimpée en flèche ces dernières années, contribuant à faire de Jack Clayton une figure de proue du cinéma horrifique des années 60, le reste de sa production, composée majoritairement d’adaptations littéraires minutieuses et inquiétantes, semble avoir été quelque peu négligée. Pourtant, elle vaut largement le détour! Our Mother’s House est un film qui bénéficie clairement de l’obscurité de son roman source. Jouant avec les attentes du spectateur de façon totalement inattendue, et surtout, prédisposé à explorer des thèmes pour le moins étonnants.


Le fait que ce film soit si méconnu s’explique certainement par un aspect des plus évidents: Il est impossible de le catégoriser, et on sait à quel point le grand public a un besoin irrépressible de tout ranger dans des cases. Outre le fait que "Les Innocents" ait depuis largement éclipsé le reste de la production de Clayton, comme dit précédemment, on notera également certains parti-pris très modernes pour l’époque, peut-être trop, dont un remarquable sens du mystère et de l'émerveillement. Mais en réalité, rien ne semble indiquer que ce film a été tourné dans les années 60, ainsi, le ton de cette tragédie comique aux allures Dickensiennes, ainsi qu’une bonne partie de son intrigue, semblent évoquer une époque lointaine, presque antérieure au monde contemporain, participant fortement à augmenter la difficulté de classer ce film dans une catégorie bien précise. Cependant, l’évocation de l'inceste et d’autres thèmes difficiles sont certainement les principales raisons de l’oubli global de ce long-métrage, une injustice qu’il est temps de réparer aujourd’hui!


Dans sa forme, il ne s’agit en aucun cas d’un thriller classique, même si son intrigue et ses personnages sont suffisamment tordus pour permettre une instauration convaincante du suspense. Et ce n'est certainement pas un film d’horreur, au sens où on l’entend généralement, même s'il nous réserve une pléthore de moments psychologiquement très durs. On pourrait supposer qu’il s’agit d’un "drame", même si, encore une fois, cette désignation semble terriblement inadéquate, appliquée à un film aussi fascinant et complexe.


Dans sa mise en scène, Clayton, bien aidé par son casting, parvient à donner à chaque morceau de drame une résonance bien particulière avec son intrigue. La multiplicité des thèmes abordés en fait un film étrange, légèrement inégal au début, mais se développant de scène en scène, adoptant petit à petit les éléments du thriller, et flirtant avec ceux du film d'horreur. Sorte de mélange entre Sa Majesté des Mouches et Flowers in the Attic, principalement pour son scénario s’axant sur un groupe d’enfants laissé à son sort, créant une société fermée imitant le monde des adulte, mais également un culte monté de toute pièces et adoptant un fort enthousiasme pour le châtiment. Our Mother’s House est un film développant un humour authentique et bizarre, typique de la fin des années 60, combiné à une réflexion intéressante sur la religion et la société. Pour ces raisons, et bien d’autres encore, il serait tout à fait comparable à des films comme La Nuit du Chasseur ou The Beguilded, puisant également de nombreuses influences stylistiques dans le monde du roman, notamment en ce qui concerne sa structure scénaristique, qui fait furieusement penser à celle de The Cement Garden. Les amateurs de Jack Clayton y verront très certainement une transition parfaite entre Les Innocents et Something Wicked This Way Comes, que Clayton réalisera près de 20 ans plus tard.


Au final, on tient là un film qui s’impose certainement comme l’un des plus mémorables du cinéma britannique des années 1960, décennie qui a vu la production cinématographique d’outre-manche se parer d’une richesse jamais vue auparavant, avec les diverses œuvres que l’on connaît tous et qu’il serait inutile d’énumérer, mais aussi à travers un cinéma plus sombre et confidentiel, dont font partie des œuvres comme The Servant, Cérémonie Secrète, Performance, Mumsy, Nanny, Sonny and Girly ou encore Negatives, Our Mother’s House fait clairement partie de cette tendance. Une tendance peut-être initiée par les grands bouleversements de cette décennie, provoquant un besoin national de retour aux sources, avec l’effondrement progressif des valeurs traditionnelles, menacées par l'hédonisme ambiant causé par le violent clash générationnel de la fin des 60’s. Cette thématique se vérifie facilement en décortiquant le métrage en deux parties bien distinctes, dans sa première moitié, le film présente des enfants laissés à l’abandon, avec une ambiance étrange, affectueuse et étrangement crédible: Les enfants sont assez généreux et intelligents pour se débrouiller seuls, mais ont l’esprit rempli de croyances étranges, des citations bibliques et d’histoires d'horreur sur les orphelinats. La deuxième partie, commençant approximativement au moment du retour de leur père, présente quant à elle un voyage philosophique plus abstrait, mais dont les conséquences sont tout aussi dommageables que les notions étranges léguées par leur mère.


Bref, inutile de digresser plus encore, on pourrait résumer ce film en le présentant tout simplement comme un drame familial efficace, brassant de nombreux thèmes et faisant fi de toute notion réductrice comme l’intégration à un genre bien particulier en premier lieu, un film étrange, mystérieux, sur lequel il y aurait beaucoup à dire, autant d’un point de vue technique que philosophique, un film injustement méconnu compte tenu de sa qualité formelle et de la portée de son message, et tout simplement, un très bon film, que tout amateur d’originalité se devrait de voir de toute urgence!

Schwitz
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le 18 mars 2017

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