Même si cette comédie douce-amère qui prend la forme d'un road movie revisité ne donne pas entière satisfaction vis-à-vis des attentes suscitées par un film de la réalisatrice de "La Fiancée du pirate", il n'en reste pas moins qu'elle donne envie de poursuivre l'exploration de la filmographie de Nelly Kaplan, pourvoyeuse d'une vraie originalité dans le paysage cinématographique français des années 1960 et 1970. Ginette Garcin et Daniel Ceccaldi, dans leurs rôles de Français moyens, donnent l'impression de plonger dans un univers à la Rozier, où on ne sait jamais vraiment de quel côté se situe-t-on de la frontière de l'humour.
"Charles et Lucie" est en quelque sorte l'histoire d'un vieux couple, usé par le temps et la pauvreté, qui trouvera une seconde jeunesse à la faveur d'une escroquerie dont ils sont victimes : un prétendu notaire se présente à leur domicile en leur faisant miroiter un héritage colossal, ils vendent tout pour payer les frais et partir habiter cette villa du sud de la France, mais pas de chance, il s'agissait d'une arnaque — on l'apprend assez vite. Les voilà partis sur les routes de France, avec une voiture qu'ils ne savent même pas volée, eux, ce vieux couple modeste et commun, terriblement éloigné des clichés en matière de road movie. Une ancienne chanteuse devenue concierge et femme de ménage chez un vieux lubrique, et puis un demi-brocanteur, tous deux principalement occupés par des petits boulots que personne d'autre ne veut faire, se prennent à rêver à une vie meilleure au soleil. Mais les rêves de Côte d'Azur s'estompent abruptement sur place.
Le film s'organise comme une longue course-poursuite, en demi-teinte, avec les deux énergumènes pourchassés par la police (entre autres), et propulsés dans une nouvelle case de démunis. Aux jeunes découvrant le vent de la liberté et la rupture des règles le long d'un voyage initiatique, le couple de quinquagénaires se lance dans un road trip d'un autre genre, comme dans une variante d'un Mocky (avec Nelly Kaplan en voyante). "Plus c’est gros, plus ça impressionne", dit Ceccaldi un cigare à la bouche : collector.