Chasse à l'homme par Alligator
mai 2011:
Terrible déception! J'ai osé lire ici et là que Man Hunt constituait le meilleur film de propagande de Lang et même une réussite générale avec un suspense jamais démenti et patati et patata et patatras!
J'ai eu la nette impression de voir un film d'Hitchcock raté, sans son art du rythme et de l'équilibre. On voit bien que Fritz Lang essaie de grimper ses 39 marches mais que dès la 7e ou 8e il est déjà trop essoufflé.
La relation entre Walter Pidgeon et Joan Bennet est à deux doigts d'être émouvante. Peut-être que le jeu un peu trop appuyé de l'actrice quand elle pleurniche finit par donner une teinte trop caricaturale à son personnage. Sûrement que la caméra insiste trop sur la jeune femme et ne visite pas suffisamment le visage du bonhomme. Comme si Walter Pidgeon était absent pour qu'il y ait réellement une histoire d'amour entre eux.
Oui, le film attaque le nazisme dans un pays qui n'est pas encore en guerre. Oui, Fritz Lang assume un trait volontiers agressif, une forme d'activisme propagandiste qui se renforce avec le dernier chapitre du film. Je ne crois pas que ce soit cette caractéristique, tout à fait légitime, qui me gêne. Elle n'est pas trop simpliste, décrivant une réalité bien moins glauque même que ce dont on pouvait s'imaginer de l'autre côté de l'Atlantique. La barbarie nazie est pourtant montrée du doigt avec un personnage assez fourbe et fou pour qu'on puisse dire de George Sanders qu'il l'incarne avec persuasion.
Ce qui me gêne doit plutôt provenir du manque de liant général et peut-être également d'une sorte de lassitude devant les films de propagande anglais et américains de cette époque. Là on est plus face à un problème tout personnel. Ceux d'Hitchcock, ceux de Powell et Pressburger, ceux de Lang et de beaucoup d'autres, la liste s'allonge et forme un ensemble de films qui, parce que j'en regarde de manière excessive, finissent par un peu trop se ressembler.
Fritz Lang a-t-il voulu donner à son "Man hunt" un ton moraliste ou philosophique comme pourrait le laisser supposer une des dernières scènes, celle de la grotte où Walter Pidgeon s'est enfermé au terme d'une course poursuite qui n'a cessé de le priver de ses marges de manœuvre? Malheureusement, cette réflexion somme toute métaphysique sur le bien fondé d'une dichotomie entre bien et mal arrive un peu tard à mon sens. J'ai bien aimé cette séquence, cette situation qui finalise de façon tout à fait logique le parcours de chasseur "chassé", mais je me suis mis à bailler bien avant cela.
La première partie du film présente des personnages et une problématique générale de manière peu efficace, presque banale. En tout cas pas si originale que je l'aurais espéré. La partie allemande m'a ennuyé.
Celle du bateau tout autant. Le personnage énigmatique du sac d'os Carradine m'impressionne guère. Roddy McDowall a l'excuse de l'enfance, mais il joue comme un pied, agitant langue et yeux pour exagérer chaque expression. Le suspense ne décolle pas vraiment.
D'autant plus que le timing ou la place de la caméra par rapport à l'action m'a semblé ne pas faire preuve de l'acuité et du savoir faire d'un Hitchcock. La comparaison s'avère cruelle. Alors on attend d'avoir peur. En vain.
Une fois à Londres, j'ai cru que les brumes de la Tamise, les plans en plongée des ruelles sombres de la ville allaient intensifier tout cela. Quand la pègre se met en chasse, sous les ordres des allemands, on pense à l'intelligent usage de l'espace et de la foule de "M", mais en aucun cas cela n'aboutit ici à produire la même tension dramatique.
Les rares incursions dans la comédie de mœurs confrontant la haute aristocratie londonienne et la plèbe vulgaire et simple prête au mieux à sourire grâce à l'enthousiasme de Joan Bennet mais cela s'arrête là. Pas de grande portée. Reste un goût d'inachevé, surtout d'artifice, comme un passage obligé.
Alors bien entendu, il s'agit d'un film de Fritz Lang. Certains plans sont très bien construits. Quelques scènes offrent de très beaux cadrages et une photographie bien travaillée. Mais elles sont rares, surtout par rapport aux autres œuvres du maitre. La toute première scène, ce travelling avançant dans la forêt, on s'attend presque à voir le dragon des Nibelungen, puis un fondu enchainé passe à un travelling latéral au ras du sol suivant les pas d'un homme vers la droite et l'image débouche sur Walter Pidgeon à l'affût près à abattre Hitler. Quelle entrée en matière!
Le travail sur le découpage des personnages dans les ombres est parfois excellent mais au final c'est la frustration de ne pas en avoir eu plus qui prédomine chez moi. Enfant gâté. Y a des tartes qui se perdent! La scène du métro par exemple, est très décevante. Je m'attendais au grand frisson, à un plus gros travail sur les cadrages et les jeux d'ombres et lumières, sans parler de la durée beaucoup trop rapide.
J'en suis presque triste. Étrange. Ce n'est pas la première fois que je suis déçu par un film de Lang. Ce cinéaste m'aura fait passer par tant d'émotions, de hautes et des basses! Peut-être me faudra-t-il retenter ma chance sur ce film là, ça en vaut sûrement la peine. Lang est un type déroutant mais dont la complexité ne cesse de me fasciner.