Avec son Cheval de Guerre, adapté d'un roman de Michael Morpugo et d'une pièce de théâtre, Steven Spielberg réalise un film étonnamment naïf, qui surprend et lasse à la fois par son côté hyper-rétro assumé.
Pourtant considéré comme le maître de l'émerveillement au cinéma, de l'émotion et de la fascination, l'auteur d'E.T. et des Indiana Jones n'atteint pas ses ambitions dans ce film patchwork improbable. Trop souvent dans Cheval de Guerre la magie n'opère pas, l'humour tombe plat, les larmes attendues se transforment en rires jaunes des spectateurs tant l'emphase est too much (notamment celle de la B.O. de John Williams, sirupeuse)
et les situations prévisibles. Le film s'inscrit plus dans la lignée des mélos poussifs que sont La couleur pourpre et Amistad, et surtout de l'étrange "kitscherie" Always, que des grandes réussites tout public du cinéaste.
On en vient à se demander pourquoi le cinéaste s'est fourvoyé dans cette galère. A l'écouter, il trouvait l'oeuvre originale éminemment cinématographique et s'est étonné que personne n'en ait jamais acheté les droits. Ce constat transparaît dans le film, par un hommage permanent à l'Hollywood des années 50, aux mélodrames flamboyants de type Autant en emporte le vent mais surtout au cinéma de John Ford, par l'apologie de la communauté, qui s'entraide pour survivre comme dans Les Raisins de la colère, l'amour de la terre natale et les prairies en technicolor comme dans L'homme tranquille, des chevauchées héroïques dignes de la trilogie de la cavalerie et une fin en clin d'oeil direct à La Prisonnière du désert, tout en silhouette noires sur fond de coucher de soleil. Une volonté de Spielberg qui passe aussi par un style classique - plans larges où acteurs et chevaux évoluent - qui se ressent jusqu'aux effets spéciaux, ce qu'on ne peut que louer : se désolidarisant définitivement de George Lucas et de son excès de retouches numériques, Spielberg revient ici aux effets réalistes d'une grande tenue. Cascades et effets pyrotechniques sur les champs de bataille "sonnent" vrais, et relèvent le niveau du film après quarante minutes d'introduction peu convaincantes.
Cette citation de l'Hollywood classique, qui a parsemée toute la filmographie de Spielberg, pourrait atteindre ici son apogée puisqu'elle se fait directe, sans distance et explicite. Elle vient symboliser une certaine nostalgie de l'enfance, une lutte de la croyance naïve contre la dureté du monde adulte que la première guerre mondiale vient incarner. Malheureusement, cet optimisme vintage devient carte postale et confine à la lourdeur. Albert, le héros, et son cheval Joey, affrontent une série d'épreuves dont on sait à l'avance qu'elles se conclueront par un succès. Spielberg dit justement avoir apprécié la simplicité de cette histoire. Or c'est pourtant ce qui plombe le film, ne proposant rien de plus qu'un allégorie christique simpliste vue et revue, où le cheval, après s'être fait "crucifier" (blessé par des barbelés, à la fois clous et couronne d'épines) avant de ressusciter pour unir les hommes et amener la paix (l'armistice est signée rapidement après cette scène).
Néanmoins, les idées visuelles de Spielberg, qui constituent son génie habituel à la manière d'Hitchcock, sauvent le film du néant. La furieuse cavalcade du cheval sur le no man's land et sa chute dans les barbelés, l'exécution de deux soldats pour lâcheté sobrement cachée par les hélices d'un moulin - hommage au vieil Hollywood toujours, quand la censure qui poussaient les cinéastes à faire preuve de créativité pour cacher et suggérer - sont deux véritables moments de cinémas appréciables. Malheureusement, pour le reste du film, le réalisateur du nouvel Hollywood ne signe qu'un fade pastiche des studios classiques, sans aucune nouvelle contribution : du cliché pur, qu'il porte à l'écran par sa traditionnelle maîtrise technique et visuelle. Cette absence totale de distance, de profondeur, ce manque de nuances peut énerver ou charmer, bien sûr, mais force est de constater qu'on est loin de la qualité que sait proposer Spielberg. L'éparpillement du film, entre aventures d'initiation pour enfants, mélodrame campagnard, film de guerre violent, est également intéressant, tout en participant à son non sens. A la fois prévisible dans les intrigues mais imprévisible dans la démarche, Cheval de guerre est un film courageux par sa naïveté jusqu'auboutiste, mais également raté pour les mêmes raisons. On ne peut l'apprécier qu'en film malade, pour paraphraser son ami Truffaut. L'étiquette n'excuse rien, mais permet d'apprécier les quelques qualités cachées et les idées intéressantes qui parsèment cet échec global.