C’est en 2008 que Olivier Schatzky nous présente la seconde adaptation cinématographique de “Aux Champs”, une nouvelle écrite par Guy de Maupassant au XIXe siècle. Celle-ci fait partie de la deuxième saison de la série télévisée “Chez Maupassant”, anthologie basée sur l’adaptation de 24 textes rédigés par Guy de Maupassant.
“Aux Champs” nous plonge au coeur du XIXe siècle, entre deux misérables familles paysannes, les Tuvache et les Vallin. Un jour, M. et Mme d’Hubières, qui sont dans l’incapacité d’avoir un enfant, veulent adopter le plus jeune fils des Tuvache, Charlot, en échange d’argent. La mère refuse cette proposition qu’elle considère inhumaine. Le couple propose alors le contrat aux Vallin qui acceptent la rente. Suite à cela, les deux familles ne se parlent plus. La mère Tuvache dénigre ses voisins et se présente comme une mère exemplaire, ce qui amène Charlot, son fils, à se sentir supérieur, car il n'a pas été vendu.
Le film garde l’esprit et le réalisme de la nouvelle, tout en rendant l’histoire plus accrochante et intrigante, grâce au jeu de bons acteurs, et à une réalisation maîtrisée. Tout cela rythmé par des chefs-d’oeuvres de la musique orchestrale, cette adaptation est réussie.
Une intrigue commune avec la nouvelle, mais de nombreux ajouts scénaristiques.
Pierre Leccia, scénariste du film, a gardé un fil conducteur et des personnages communs avec la nouvelle. Il a choisi de placer comme narrateur Charlot, le fils Tuvache n’ayant pas été vendu, celui-ci raconte son histoire pendant son interrogatoire de police. Cependant, un certain nombre de personnages et d'événements ont été ajoutés, comme l'interrogatoire.
En premier lieu, l’ajout de Gaston Tuvache, le frère de Charlot. Celui-ci tombe malade de la tuberculose, et pourrait être soigné en allant à un sanatorium. Mme Vallin propose alors à son ancienne amie l’argent nécessaire pour soigner Gaston, qu’elle refuse. Le scénariste a fait ce choix pour insister sur le malheur de Mme Vallin créé par le conflit entre les deux familles. On comprend donc que celle-ci veut rédimer leur amitié, en sauvant le fils Tuvache. Pierre Leccia continue d’ailleurs pas une intelligente transition brusque et ironique, l’enterrement du malade. Toutefois, la maladie de Gaston aurait pu être introduite plus tôt, tout comme son personnage.
Cependant, l’ajout de Marguerite de Morsang (et son père) est entièrement justifié, accentuant ainsi la peine que nous avons pour Charlot à la dernière scène. Je ne peux vous en dire plus, mais vous me comprendrez une fois le film visionné.
Ainsi, le film enchaîne idées sur idées pour garder des valeurs et idées générales. Heureusement que le contexte de ces événements est rappelé, l’interrogatoire de Charlot, soupçonné du meurtre de sa mère. En effet, le scénario est construit autour d’une structure en flashback. (voir image ci-contre, schéma simplifié et généralisé) Nous commençons par la mort de sa mère, qui mène à son arrestation. (Par ailleurs, la première scène est très bien scénarisée, apportant plusieurs informations, introduisant Charlot et sa mère sans que le spectateur ne s’en rende compte). Le personnage principal raconte l’histoire aux policiers, ce qui présente dans la structure le premier et le second acte.
Cependant, pour revenir sur le narrateur et le point de vue, le scénario est principalement tourné sur et vers Charlot et ce qu’il sait en utilisant son interrogation. Ce choix scénaristique peut être remis en question. Je ne le considère pas comme mauvais, mais certaines incohérences sont présentes, le narrateur est censé être égal à Charlot. La première partie du film est l’adoption de l’enfant par M. et Mme d’Hubières, l’arrivée du couple n’aurait pu être vu par Charlot, dans la maison, et il était bien trop jeune pour s’en souvenir. Les scènes qui suivent présentent le même problème. Il est possible d’excuser ces incohérences par le fait qu’il n’y ait pas de voix-off et que ses parents auraient pu lui raconter. Mais ce ne sont pas les seules scènes à présenter cette erreur. Par exemple, le rendez-vous de M. et Mme Vallin chez le notaire, où Charlot n’était encore une fois pas présent.
Je pense donc que l’interrogatoire de Charlot Tuvache est une bonne idée, mais peu et mal exploitée.
Pour conclure sur le scénario, malgré des ellipses temporelles, le récit est fluide, le spectateur ne se perd pas. Celui-ci est bien ancré dans l’histoire qui est ficelée autour des personnages qu’incarnent Guillaume Gouix (Charlot Tuvache) et Marianne Basler (Mère Tuvache).
Le réalisme au premier plan.
A présent, il est temps de parler réalisme. Vous le savez très certainement, Guy de Maupassant est un auteur réaliste. Il représente son temps, ou plutôt ses oeuvres représentent son temps. Dans “Aux Champs”, Maupassant insiste dès l’incipit sur la pauvreté et la misère des paysans de son temps. Maupassant insiste sur les conditions sociales, sur le quotidien d’un paysan et les difficultés qu’il rencontre. Cette démarche s’inscrit dans une description réaliste de milieux sociaux ignorés par la littérature romantique.
Dans le film, le scénariste Pierre Leccia et le réalisateur Olivier Schatzky ont voulu garder ce message que transmet la nouvelle. D’abord, le décor et les costumes sont soignés, les deux chaumières ont été remarquablement mises à l’écran, les accessoires ont eux aussi bien été choisis, tout comme les costumes. Ils correspondent à chaque personnage et à la période. Du côté de la lumière et de l'étalonnage, le réalisateur a choisi de garder des couleurs et des lumières réalistes, tout en rendant l’image intéressante. On peut voir par exemple un faible éclairage dans la maison, soulignant le malheur et la misère de ces familles. Pour revenir au scénario, Pierre Leccia a concocté des dialogues réalistes, en utilisant un vocabulaire des paysans du XIXe siècle : “me” pour moi, “bon jour” pour au revoir, et bien plus. Les acteurs ont joué leur rôle en respectant un accent très important au réalisme du film.
Pour conclure, les auteurs de l'adaptation cinématographique de "Aux Champs" ont choisi de garder le réalisme de la nouvelle. Il est au premier plan, et à travers tous les aspects du film.
Une réalisation modeste, mais bien maîtrisée, ajoutée à une musique mémorable.
Olivier Schatzky, le réalisateur, a choisi de mettre en mouvement la majorité de ses plans, des travellings. Il utilise aussi de nombreux zooms, que je ne trouve pas justifiés. Il accroche de même la caméra sur les personnages, elle se rapproche d’eux, se déplace avec eux. On retrouve peu de plans d’ensemble. Ces choix peuvent être expliqués par le souhait du réalisateur de nous insérer dans l’histoire, de nous ancrer dans cette vie misérable et difficile, on suit les personnages dans leurs émotions, on les accompagne dans leurs actions. Et ce n’est pas une mauvaise chose, au contraire. Nous rentrons dans le récit sans difficultés, et nous le suivons comme si nous y étions, et c’est le but du réalisme. Toutefois, certains plans ne sont pas justifiés, et Schatzky garde des plans identiques pendant tout le film. Je trouve la réalisation peu ambitieuse, et trop classique. La direction d’acteur n’est pas non plus mémorable, juste suffisante.
Côté musique, la coordinatrice musicale Marie-Hélène Julienne fait rythmer le film grâce à une musique orchestrale de grande renommée : Claude Debussy, Camille Saint Saens, Frédéric Chopin. Les musiques marquent des moments majeurs dans le film, leur puissance émotionnelle apporte beaucoup au film. Je trouve celles-ci parfaites dans le film et dans les moments où la monteuse les a placées.
L’adaptation de “Aux Champs” (Guy de Maupassant) par Olivier Schatzky apporte un scénario (de Pierre Leccia) mouvementé et réfléchi, ajoutons un casting de qualité et un réalisme infaillible. On peut regretter certains défauts scénaristiques et une réalisation modeste, mais le film est intéressant à regarder, en nous plongeant dans une vie paysanne au XIXe siècle, une misère qui mène jusqu’à une mort prématurée.