Chien de la casse est un petit film dans lequel il ne se passe presque rien ou si peu, un film anti-spectaculaire au possible sans esbroufe visuelle ou sonore, un film qui semble avoir arracher un à un tout les oripeaux artificielles derrière lesquels on masque souvent le vide profond des histoires pour ne garder que le cœur même de son intrigue. Ce premier film de Jean-Baptiste Durand traite d’amitié, de glandouille, d'espoirs et de désillusion à travers la chronique touchante de deux potes d'un petit village du sud de la France. Un film qui emporte tout sur son passage par son authenticité et sa touchante sincérité.
Chien de la Casse c'est donc l'histoire de deux amis Dog er Mirales qui vivent dans un petit village du sud de la France. Un bled un peu paumé dans lequel les deux amis passent la majeure partie de leurs journées à glander entre console de jeux, interminables discutions nocturnes entre amis sur la place du village et petits trafics de cannabis. L'arrivée d'Elsa , une jeune fille de passage dont Dog va tomber amoureux, va mettre à l'épreuve les rapports entre les deux amis.
Le postulat de départ et l'arc narratif principal du film n'a donc rien d'extraordinaire mais il se suffit largement à lui même tant il permet à ses personnages d'exister juste un peu plus fort que dans leurs mornes quotidien. L'arrivée de cette fille et tous les sentiments qu'elle va exacerber par sa simple présence suffisent largement à construire un solide canevas de tensions et d'enjeux dramatiques pour permettre au film d'être prenant et touchant sans autres artifices. Même si elle ne plombe en rien l'appréciation globale du film et qu'elle y apportes quelques éléments dramatiques forts on regretterait presque que le film s'embarrasse d'une sous intrigue de rivalités de bandes juste un poil moins authentique que tout le reste. Mais l'essentiel est ailleurs avec la description de cette jeunesse un peu paumée dans cette France des provinces ou des territoires comme on dit dans les journaux parisiens. Loin des tours des banlieues et des halls d'immeubles, loin des villes industrielles en friches sous perfusion d'aides sociales, presque comme un refus de tout discours social et politique, Chien de la Casse nous invite dans un petit village calme, tranquille et ensoleillé du sud de la France, un endroit dans lequel on se verrait presque vivre ou partir en vacances même si au quotidien on s'y emmerde comme un peu partout. Sans en faire des tonnes le cadre reste un vecteur et un moteur pour sa jeunesse, un allié réconfortant tout autant qu'un profond repoussoir. Réunis dans le ventre de la ville avec cette place du village immuable point de ralliement des rendez vous nocturnes, les jeunes partagent des ambitions contraires en souhaitant pour certains ouvrir un restaurant au sein même du village et pour d'autres le fuir avant qu'il ne nous provoque un cancer. Le dédale de petites rues et leurs refuges de coins d'ombres serviront même d'allié au personnage de Dog lorsqu'il se retrouvera poursuivit par plusieurs type qui en ont après lui, comme si ce village qui semble parfois broyer d'ennui sa jeunesse pouvait aussi lui tendre ses bras protecteurs.
Mais l'essentiel et le cœur de Chien de la Casse reste le portrait de ces deux potes aussi antinomiques que complémentaires et qui viennent d'emblée s'inscrire dans une longue et belle tradition du cinéma français. Dans un autre cadre et dans une autre époque mais Dog et Mirales semblent être les héritiers de Jean Claude et Pierrot des Valseuses ou de Hippo et Halpers d'Un Monde Sans Pitié. Les deux potes interprétés avec une justesse et un naturel désarmant par un excellent Anthony Bjaon et un génial Raphaël Quenard forment un formidable duo de cinéma. Grand et élancé jusque dans ses aspirations à toujours viser plus haut que les autres Mirales (Raphaël Quenar) est à la fois le leader charismatique du groupe, le chef de la meute, le grand frère protecteur, la grande gueule à la tchatche facile, le mâle dominant et parfois arrogant de suffisance mais c'est aussi peut être le plus touchant et le plus sensible de tous du fait de sa pleine conscience de tout son environnement. Le personnage oscille entre une mélancolique tendresse et une insupportable assise de domination qui le pousse parfois à rabaisser de manière violente et humiliante ses victimes. Raphaël Quenard est tout bonnement génial de nonchalance et de sentiments contradictoires, son rapport presque amoureux à son ami n'est pas toujours d'une béate bienveillance mais même dans sa confrontation la plus violente aux autres on ressent toujours la marque de la plus grande tendresse. Il suffit de voir toutes les petites scènes désarmantes de simplicité, d'humanité et de tendresse durant lesquels Mirales aide un vieux monsieur à gratter ses tickets d'Astro pour comprendre que ce type est infiniment plus paumé que méchant. Et puis il y-a Dog, le presque bien nommé, un taiseux pas bien grand et massif comme tassé et recroquevillé sur lui même, le regard toujours triste et le sourire plaintif, Dog est un suiveur qui fait parti de ceux qui écoutent, de ceux qui subissent et de ceux qui vivent comme ça par habitude et sans grandes ambitions. C'est Anthony Bajon qui interprété Dog et le jeune comédien est une nouvelle fois excellent dans le rôle de ce type qui semble perpétuellement subir sans révolte et sans jamais rien vraiment contrôler de sa vie. Et puis il faut aussi saluer le troisième élément du trio, la pièce rapportée qui va faire dérailler la douce routine de la machine. Elsa (Galatea Bellugi elle aussi parfaite) va servir de révélateur en exacerbant les sentiments qui couvaient entre les deux amis, mettant magnifiquement en lumière leurs rapports aussi fraternels et conflictuels. Il convient de saluer la formidable direction d'acteurs de Jean Baptiste Durand, la parfaite distance que prend son cadre lorsqu'il filme des scènes de groupe comme lors de la formidable et très tendue séquence du restaurant. Et même si la mise en scène ne recherche jamais l'effet pour l'effet elle sait par quelques idées visuelles transmettre de belles idées comme lorsque sous une lumière changeante de boîte de nuit les deux moitiés du visage de Mirales se retrouve éclairé en alternance révélant la dualité de sa personnalité entre bienveillance et intransigeance. Mais la force du film c'est cette désarmante authenticité, cette sensibilité ultra-touchante qui nous transporte avec les personnages au point de sourire et s'émouvoir avec eux. Toute la scène entre les trois personnages et le chien à qui on lance la baballe (La scène qui sert de visuel à l'affiche) est juste extraordinaire tant elle condense tout ce que le film véhicule dans ces rapports humains, sa simplicité, ses enjeux dramatiques et la caractérisation subtil de ses personnages.
Chien de la Casse est un véritable coup de cœur, un film sans artifices, sans discours moralisateur, social ou politique, sans effets clinquants masquant d'un maquillage outrancier la vacuité du propos. Juste des personnages forts et touchants jusque dans leurs contradictions, juste des enjeux humains et universels d’amitié et de rapport aux autres, juste un film vivant, vibrant, sincère avec du cœur à l'intérieur.