Dans le désert, le bonheur prend facilement l'apparence d'un rêve irraisonnable.

C'est ma première "critique" sur le site, d'habitude il y en a déjà de très bonnes et j'ai la flemme à chaque fois parce qu'il y a trop à dire ou pas assez (je ne vois pas l'intérêt de parler de ce que je n'aime pas). Mais cette fois j'ai envie de partager quelques éléments qui m'ont marqué sans vraiment les structurer. Alors, comprenez ce qui suit plutôt comme une "note" que comme une "critique".

(Vu le 30 janvier 2024 à Grenoble)

Jeunesse de campagne :

Pour y avoir grandi, je trouve que le film reflète avec justesse la réalité de ce que peut-être la jeunesse dans un village de campagne. Avoir une bande de potes avec une grande diversité de personnages (parfois des excentriques), traîner tard en survet dans des lieux très précis pour fumer des pétards avec une enceinte ( "rdv à la fontaine" ou "au square"), avoir ses potes ou des "grand frères" qui dealent, n'avoir rien à se dire mais rien d'autre à faire que d'être ensemble pour combler ce vide inhérent à la vie de village (mais aussi à l'existence), avoir du mal à mettre des mots sur l'avenir, avoir du mal à nommer "la misère" (l'isolement géographique, social...) donc rire de tout et se charrier...beaucoup.

Avec les même rivalités et tensions entre les individus, que ce soit dans son groupe (ce qui mène parfois à des scissions) ou avec d'autres bandes selon les villages/les générations (etc...), souvent pour un rien, pour de la drogue ou des histoires de cœur et de trahison exagérées.

Et donc, quand ça se passe mal ou que personne n'est dispo, les mêmes balades avec le chien devant des paysages grandioses qui sont écrasants tant l'horizon est profond, tant on soupçonne que là-bas, derrière les collines, "ça grouille de vie" et que ça doit être meilleur. Et aussi cette confrontation avec le vide de forêts et de sentiers silencieux.

En fait on retrouve bien cette espèce de rancune générale, contre le vide, contre les gens, contre l'absence de sens. Rancune qui peut durer, il y a des trucs qui ne passent pas, et qui permet parfois de se poser des questions : est-ce qu'on est pas amis parce-que sinon y'a personne ? Est-ce qu'on ne se force pas à l'être parce-que ça fait 15 ans qu'on se connaît et qu'on ne connaît que nous ?

Et puis l'arrivée d'une nouvelle personne, dans un monde statique de chiens d'la casse, est toujours un bouleversement...

Film, moments et interprétation (gros spoilers) :

(Dans le désordre mais il y a un intérêt)

Quand le film commence, on voit Mirales "s'amuser" en humiliant Dog (en le frappant selon les règles du jeu du cercle avec les doigts : un classique) et on pense de Dog qu'il est un peu le "fou" ou le "bizarre" du village. Puis, c'est peut-être moi qui était un peu absent, mais j'ai l'impression que c'est volontairement un peu confus. Je m'explique, en fait j'ai trouvé difficile de déterminer exactement qui était Malabar, car quand Mirales s'adresse à lui, j'ai eu du mal à comprendre et à m'autoriser à concevoir que c'était au chien qu'il parlait, j'étais déjà devancé et convaincu par l'idée que "Malabar" était peut-être le surnom de Dog, car avait il l'air complètement mou et handicapé.

Il y a une scène de tendresse entre Mirales et Dog au début du film, lorsqu'ils jouent à la console qui est formidable. Mirales charrie Dog, ils luttent quelques instants, et c'est très chaleureux. C'est ici qu'on se dit "ah c'est donc vraiment lui son meilleur pote dans cet endroit !" et où on sent l'attachement alors que la relation paraît dès le début assez toxique pour le spectateur.

Les dialogues avec sa mère, où on a presque l'impression que c'est lui qui est à l'origine de ce "coup de mou" qui restera un mystère. Par deux fois et à des moments bien distincts il en arrive à lui poser des questions du genre "qu'est-ce qui te ferais plaisir ?", "qu'est-ce que tu veux ?" à propos de nourriture ou d'autre chose. Mais elle, marque toujours un temps d'hésitation avant de répondre, son visage se décompose, elle regarde dans le vide... en fait on dirait qu'elle veut lui répondre "que tu partes", "que tu fasses quelque chose de ta vie", mais elle ne le fait jamais.

J'ai beaucoup aimé aussi la scène où Mirales vient déranger Elsa et Dog en terrasse. Il s'assied, est filmé de face, au centre, et paraît plus grand que les deux autres qui sont de dos. Mirales est un ami toxique, il exerce un genre de contrôle assez violent sur son ami Dog, qui lui est plus timoré voire mutique. Alors quand Mirales fait scandale et se dispute avec Elsa, Dog ne sait pas quoi dire et va finalement prendre le parti de son tyran. A ce moment, il y a une structure pyramidale et Mirales en est le sommet, et on peut apercevoir deux manières de réagir à la pression qu'il exerce : il y a celle qui se révolte, qui ne le supporte pas et qui le dit, et celui qui supporte, qui n'ose rien dire par peur du conflit et des représailles car il est sans défense.

Il y a cette conversation entre Mirales et son fournisseur à propos des femmes. Mirales expliquant qu'il a de grandes exigences, que la femme idéale pour lui existe, celle qui sera enterrée avec lui. C'est ici que je me suis demandé pourquoi on avait pas vu son père depuis le début du film (on apprendra plus tard qu'il est mort), et si ça n'avait pas un lien avec l'idéal de Mirales : car sa mère elle, est en fait privée de cette "vie à deux jusqu'au bout". Alors peut-être a-t-il cette inquiétude lui aussi ?

Cette scène ou Dog et Elsa sont au lit et qu'elle fait un lapsus : "je parle à mon copain", qu'elle rattrape avec " je voulais dire mon ex copain". Ce qui laisse sous-entendre, comme elle est au village pendant un mois, qu'elle relationne avec Dog mais qu'en fait elle a quelqu’un à Rennes. Dog lui jette alors un regard suspicieux, elle s'agace, s'assied au bord du lit en lui tournant le dos, et s'attache les cheveux. Là, pendant qu'elle commence à ramasser ceux qui traînent sur sa nuque, on voit qu'elle porte le maillot offert à Dog pour son anniversaire sur lequel il est inscrit "D O G". La caméra change d'angle, elle est de face et Dog dans son dos, il la regarde s'attacher les cheveux et paraît troublé en fixant l'inscription, qu'il fixe encore quelques instants quand elle finit, avant de regarder le chignon. Mais que lui est-il passé par la tête ? A-t-il pensé "finalement, c'est peut-être une chienne elle aussi" ?

C'est une scène qui pour moi illustre très bien cette finesse et cette crudité (très naturaliste) qu'on retrouve dans Chien de la casse.

La fin, à partir du moment où ils enterrent Malabar. Mirales raconte à Dog que la veille de la mort de son père en accident de voiture, il avait fait le rêve que son père mourrait en accident de voiture, et qu'il s'est mis à fumer parce qu'il n'avait plus de rêves. Mais dans le film, on est à un moment où il a arrêté de fumer, et des rêves il en a plein. Au point même d'être moqueur et méprisant, parce-que c'est un garçon étrangement cultivé (étrange pour les autres, car la raison est très bien montrée dans le film), qui estime avoir le droit à mieux et pouvoir aller plus loin que ses potes. Le problème c'est que tout le long du film, c'est avec Dog qu'il est particulièrement moqueur et exigeant, sensé être son meilleur pote dans le désert, il se moque de lui en public, l'humilie en le traitant de larve, de "looser". Et il justifie tout ça par une sorte d'éducation : en gros je dis/fais ça pour son bien, pour qu'il change, pour qu'il grandisse (marrant car à un moment du film il dit à Elsa quelque chose comme "je me moque pas de lui je l'éduque" en parlant de Malabar, son chien). La relation est terrible, mais quelque part, Mirales aussi est un perdant, un chien de la casse, c'est juste le plus agressif, le chef de meute, celui qui a de la gueule. Et il n'accepte pas de l'être, son problème, c'est pas sa vie à lui, c'est toujours Dog, ses absences, son manque d'ambition, sa médiocrité... mais Dog a toujours l'air d'aller pourtant (il lui répond même à un moment antérieur "tu sais j'ai pas besoin de toi", bien que quelques minutes plus tard heureusement, Mirales est là). En fait on dirait que Mirales projette, il pense même que l'armée fera du bien à Dog (on apprend qu'il va aller à l'armée), que ça il apprendra à être plus expressif, à se durcir. Le rêve de Mirales c'est que Dog soit conforme à ce qu'il projette en lui, et d'autre part, il se projette en lui aussi, car il lui fait tous les reproches qu'il n'ose pas se faire à lui-même.

Le chien est mort : mais lequel ? Malabar ? Dog ? Les deux ?

Les rêves de Mirales ne sont plus aussi grands, et on peut sentir que cette histoire lui a fait prendre conscience de ses travers. L’éloignement avec Dog aussi. Lorsqu'il reçoit un message vidéo de Dog dans son dortoir de l'armée. Il voit, dans cette vidéo, que Dog a pris en confiance en lui, on le trouve transformé : il est devenu dur. Il promet même, toujours dans la vidéo, de se venger de la scène du début du film en mettant un coup de point à Mirales à son retour car il lui fait aussi la vanne du cercle avec les doigts (un classique j'vous dis), en plus injuste encore car sur une vidéo on ne pet pas vraiment détourner le regard. Dog semble enfin prêt à lui tenir tête, à ne plus se laisser écraser, dominer, par son ami, et ça n'a été possible que parce-qu'il s'en est éloigné. Et non pas grâce à "l'éducation" violente et agressive de Mirales.

Mirales rêvait de façonner son pote, son pote s'est façonné d'un autre manière. Mirales rêvait d'une vie qui lui était impossible, vie à laquelle il conditionnait son bonheur quelque part ( être avec quelqu'un qui ne corresponde pas à sa "femme idéale" était impossible pour lui ; cuisinier dans un petit restau de village était impossible aussi ). Mais rêver de quelque chose ne suffit pas à ce que ça se réalise. Encore moins dans un trou perdu au milieu des steppes. Et il le sait, quand il parle de la mort de son père, il dit se sentir responsable. Comme si c'était arrivé parce qu'il l'avait rêvée. Mais il dit aussi après qu'il a fini par comprendre que ça n'avait aucun lien. Et c'est un peu la leçon qu'il reçoit de nouveau dans cette histoire. Il accepte sa condition, s'en satisfait, ne projette plus sa haine de lui-même sur les autres, et travaille dans le restaurant de son ami au village. Rêver de quelque chose ne suffit pas à ce que ça arrive, il y a des rêves qui ne sont pas raisonnables tant ils sont irréalisables, alors il faut accepter les concessions, dans une existence enlisée et vide, il faut savoir trouver son bonheur dans des rêves que l'on peut atteindre. Ce qui rend heureux c'est le fait de réaliser ("d'atteindre") et le chemin qui le permet. Mais un chien de la casse tombe parfois dans un écueil, celui de se satisfaire du fait d'avoir des rêves, aussi impossibles qu'ils soient, et de continuer à s'enliser sans comprendre qu'il va à l'encontre de son propre bonheur.

On pense qu'il est heureux, et que Dog aussi.

Alors, Malabar, le chien, est mort.

Et tous ces personnages qui ont l'air d'avoir un mal de chien à vivre avec toutes les errances que ça implique, le sont aussi.

Dog (the dog), traité comme un chien et complètement enfermé, est mort : il (se) réalise.

Et enfin Mirales, le Mirales du film, qui est un gros chien bien dégueulasse, est mort : il (se) réalise.


Enfin (très bref et très général) :

Un beau film, fin, subtil, avec des images qui parlent plus que les personnages et qui est très bien rythmé. Car c'est un film qui sait comment interrompre les moments avant qu'ils ne deviennent gênants, avant qu'ils ne tombent dans la caricature.

C'est aussi un film qui prouve qu'on peut très bien filmer des jeunes et en dire quelque chose de drôle, de vrai, sans tomber dans des stéréotypes faciles, redondants et dans une morale usée. Il montre aussi qu'on peut passer du rap sans problème.

(Je vise un film dans les deux phrases qui précèdent mais je ne vais pas dire lequel : petit jeu)

Bon, la note est très axée sur Mirales, il y a en fait beaucoup à dire sur d'autres personnages, sur la vie de village en général, sur la relation entre Elsa et Dog, Dog et Mirales, Elsa et Mirales et bien d'autres... même un message en quelque sorte "universel" cqui pourrait/devrait parler à tou.te.s mais j'ai eu la flemme. C'est déjà bien assez long.

Peut-être que je vais modifier ce texte un jour pour le compléter. Mais là, j'ai une vie de clébard à démener.

Bisous mes chiens d'la casse.

Créée

le 31 janv. 2024

Critique lue 25 fois

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