Vous avez peut-être déjà croisés, sur des sites patrimoniaux oubliés des dieux et des hommes, des personnes âgées qui prennent le temps de s'imprégner de l'atmosphère du site, qui décrivent à haute voix ce qu'elles voient, et qui semblent dire des évidences, mais soulignent en réalité des choses importantes. C'est un peu le regard que pose ici Manoel de Oliveira sur les traces de Christophe Colomb, qui ne s'appelait d'ailleurs pas ainsi.
Le film suit Manuel Luciano da Silva, un émigrant portugais qui part s'installer en Amérique avec son frère, en 1947. Sur la question débattue des origines de Christophe Colomb, il est persuadé que celui-ci était portugais, s'appelait Salvador Fernandes Zarco et était le bâtard du roi. Manoel revient au pays dans les années 1960 et se marie avec Siliva. Pour leur lune de miel, ils vont à Cuba, village de l'Alentejo où Christophe Colon (c'est ainsi qu'il signait) serait né, mais les habitants ne sont pas au courant. Ils visitent également d'autres sites, peu mis en valeur. Sur les sites, une femme-fantôme, aux couleurs rouge et verte du drapeau portugais, les suit, sans que nul l'aperçoive jamais.Ils visitent le couvent Notre-Dame de la conception, à Beja, où était la tombe du roi Jean, pillée par les Français, ainsi que plusieurs chateaux de l'Alentejo.
Quarante ans passent. Désormais septuagénaires, Manuel et Silvia vivent à New York. Manuel emmènent Silvia visiter plusieurs lieux témoignant de la place des Portugais dans les grandes découvertes : un mémorial sobre à New York ; Dighton rock, où un navigateur portugais aurait laissé son nom en 1504 ; une église aux Etats-Unis basée sur le même plan qu'une abbaye portugaise ; enfin, Madère, pour visiter la maison où vécut Colomb. Le fantôme est encore là. Le couple déclame du Pessoa.
C'est un beau film, lent, assez fauché, et dont le contenu n'est pas sans reproche au regard de l'historien. Le grand nombre d'occurrences du drapeau portugais pourrait taxer De Oliveira de nationalisme, mais honnêtement c'est un sentiment qui n'a jamais pris dans ce pays si particulier le sens qu'il peut prendre ailleurs.
J'aime beaucoup le principe : aller voir sur les sites, les vestiges, méditer, voire réciter un poème. Ne pas chercher de conclusion définitive. Pour le couple âgé, De Oliveira s'est mis en scène avec sa femme, et leur silhouette de couple âgé est très touchante.
Les plans sont souvent longs, surtout dès que la mer ou les nuages entrent dans le champ. Un piano léger, brumeux, saudadien donne à l'ensemble la dimension d'une longue pérégrination. Le film est visiblement assez fauché, avec des décors minimalistes (l'arrivée des deux frères immigrés aux Etats-Unis, avec New York noyée dans le brouillard). Comme les vieillards, le regard de la caméra, souvent à travers les personnages eux-mêmes, retrouve la capacité d'émerveillement qui est celle de l'enfance. La reconstitution des années 1960, avec peu de moyen, est très réussie, grâce à un étalonnage de couleur particulier qui m'a semblé inhabituel et intrigant.
Ce film ne prend pas tant sa valeur en tant qu'enquête factuelle sur Christophe Colo[n] qu'en tant que méditation sur l'identité portugaise, le passage du temps, les vestiges du passé, le devenir des empires, bref la destinée humaine.