Le génie de cette adaptation de roman (de Zoe Heller) est d'illustrer la notion de 'vieille peau'. Toute la densité et la mesquinerie couvertes par cette injure sont vues ici sous un angle emphatique, sans jugement ni pitié – la vieille peau ne l'autoriserait pas, ou casserait tous les efforts en une sentence. Le portrait est synthétique, avec cette largeur de vue et cette mise en réseau de 'points' qui permet de se dispenser d'une trop grande profondeur (et de ses dangers). Barbara (Judi Dench) est une vieille isolée, à l'intégration strictement professionnelle, la socialisation lisse et minimale. Aigrie mais lucide, c'est une moralisatrice prudente et refrénant son agressivité. Les côtés gardiens de l'ordre pour lesquels on la connaît ne reflètent pas tellement sa personne.


Notes on a Scandal joue aussi sur l'opposition de deux caractères, proche de la configuration du futur Doute (où ils seront adversaires, où la vieille desséchée déclare directement la guerre). La prof d'art, Sheba interprétée par Cate Blanchett, est encore jeune, veut profiter de l'existence et connaître l'épanouissement qu'elle a raté. Pour elle cela passe essentiellement par la carrière et les loisirs ; elle a beau être romantique, elle évite d'attendre l'illumination dans les relations. Elle doit probablement se contenter des 'coups de foudre' superficiels et sitôt vécus, sitôt dépassés. Elle est encore légère, facilement enthousiaste, ne conçoit pas trop les menaces. Les seuls murs dont elle a conscience sont ceux posés par la société, ou les barrières humaines élémentaires. Dans les yeux de Barbara, tant qu'elle n'est pas détachée de son contexte, ce n'est encore qu'une petite bourgeoise futile, du genre optimiste par manque d'éveil. Mais c'est aussi une alliée potentielle et une compagne en devenir. Barbara rêve d'une associée, quitte à détruire le support de son fantasme. Sa passion est rentrée. Elle n'est pas obsédée par sa cible, ni par des objets extérieurs (il n'y a que son chat et son journal pour témoigner de sa sensibilité). Sheba est juste une occasion, qu'en dernière instance elle pourrait modeler à sa mesure ; si elle ne trouve pas d'accroches ou de correspondances chez elle, alors elle les installera, par la force des habitudes.


Au bord de la retraite, la vieille peau n'est même plus pressée. L'urgence est dépassée. Elle souffre d'une vie de gâchis, reliée à personne, mais comme on souffre d'une contrariété à perpétuité : on s'habitue à tout, même à se savoir jetable et indésirable. L'entrée en scène de Sheba, puis sa faute grave, lui donnent l'opportunité de remplir sa vie. Avoir Sheba à proximité puis entre ses mains, c'est une cure de jouvence. Cet espoir immense et soudain est aussi une menace. Tous les efforts pour endormir la douleur et les envies sont submergés. Si Barbara fait des erreurs, ce sera la tristesse, plus violente que jamais auparavant, à un stade où elle est proche du pourrissement et donc ne pourrait se le permettre. Elle se sert de ce secret, au lieu de la punir simplement ; mais sans intérêt social ou financier (sans même l'envisager comme gratification supplémentaire) : c'est un monstre affectif, pathétique et dégoûtant pour ça. Sa condition, même subjective, ne saurait alléger son dossier, car Barbara reste une prédatrice. Même à distance elle conçoit les relations comme des jeux de domination, s'avance vers les autres ou les accueille seulement dans un but d'extorsion (ou fait le minimum pour être alignée). L'emprise psychologique est sa seule option pour tenir des ami(e)s (et les lier pour la vie), il manque simplement les méthodes douces, les secrets des gens encore sociaux, la spontanéité des humains assimilés depuis le berceau.


Barbara est calculatrice, probablement revenue de ses illusions, minée par le ressentiment sans être rendue confuse par l'aigreur. Mais elle vacille aussi. La peur et la colère la mènent, ses besoins l'aliènent. Lorsque la famille de Sheba s'agace de son omniprésence, ou simplement s'interroge, Barbara s'emporte. Elle perd son aplomb et sa maîtrise face à Sheba si un conflit ou un éloignement se profile. Vampiriser et mettre la pression n'est pas si facile lorsque c'est l'alternative à une séduction, qu'on est incapable d'exercer. Il est plus facile d'abattre un adversaire, il serait plus facile de casser son élue. Au fur et à mesure, se dévoile une tendance à la projection, avec des biais paranos voire érotomanes. La mise en scène (très directive et 'transparente' à l'égard du spectateur) souligne cette noirceur, avec des cadres serrés et une atmosphère étouffante. Les décors sont souvent réduits à des bulles, parfois pleines de fatras, de grisaille, de tons ternes ou sombres 'illuminés'. Cette histoire énorme n'a aucune fondation extraordinaire. Les protagonistes sont des gens normaux qu'on pourrait croiser, contrairement aux méchants sensationnels, ou aux actes brutaux, chéris par le cinéma. C'est plutôt d'imaginer l'existence et la détresse de Barbara marginales, étrangères à soi, qui semble improbable (et vendeur – de prétendu 'rêve').


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le 27 nov. 2016

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