Charlotte (Sandrine Kiberlain), mère célibataire, et Simon (Vincent Macaigne), marié et heureux dans son couple, ont une liaison extra-conjugale. Qu’ils ont choisi de vivre sur le mode de la légèreté, de l’absence d’engagement mutuel, du plaisir pris quand il se présente. Mais cet arrangement avec l’amour est-il réellement possible ?
Voilà un sujet tellement typique du cinéma français qu’il en semble presque caricatural, et qui ne donne pas franchement envie de voir Chronique d’une Liaison Passagère – titre-programme sans ambiguïté : mais comme c’est Emmanuel Mouret qui est aux commandes, lui à qui on doit tant de jolis films, et surtout un chef d’œuvre, les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, on y va les yeux fermés, ou plutôt grands ouverts. On sait que, dans la lignée d’un Eric Rohmer qu’on a tant aimé, Mouret nous régalera d’une chronique (joli mot, pour le coup) des amours de notre époque, enrichie de tendresse teintée de cruauté, avec une belle langue – une chose de plus en plus rare au cinéma – qui coulera comme du miel dans nos oreilles. Avec, comme très souvent chez lui, des acteurs en état de grâce.
Tout cela, Chronique d’une liaison passagère nous l’offre, pour notre plus grand plaisir. Mais, et c’est tant mieux, quelque chose a bougé dans le cinéma de Mouret : à l’influence de Rohmer, viennent s’ajouter celles de Woody Allen (de la meilleure période, celle qui a débuté avec Annie Hall et s’est plus ou moins close avec Maris et Femmes) et de Bergman, une influence nommément citée par Mouret, ce qui pousse fatalement l’amateur de plaisanteries et de références cinématographiques à renommer ce film « Scènes de la Vie extra-conjugale ». Une blague facile mais pertinente, même si à la tension et au drame bergmanien, Mouret substitue donc cette fameuse légèreté, respectant les mots de son personnage féminin, qui « hait la passion ».
La détermination et l’énergie de Kiberlain, parfaite comme souvent, fait donc écho à celle de Diane Keaton, tandis que Macaigne, qui fait du Macaigne mais le fait bien et nous fait beaucoup rire, est plus « woodyallenien » que nature. L’enchaînement de scènes reflétant la progression de la relation amoureuse entre les deux protagonistes, excluant totalement jusqu’à la dernière partie les autres personnages potentiels de leur vie (des enfants, de la femme, nous ne verrons ni ne saurons rien), a tout du mécanisme bergmanien. De Rohmer, il reste ici la prépondérance du verbe, du commentaire permanent que fait Simon sur la relation amoureuse : comme chez le grand Eric, le langage est un piège, qui va cruellement se refermer sur les deux amants. A tout cela, il faut ajouter la belle idée de de filmer fréquemment les personnages de dos, nous empêchant de lire sur leurs visages leurs émotions, et donnant l’impression que derrière l’apparente clarté des mots, se cachent des choses qui ne sont pas aussi avouables.
Si, à la moitié du film, Chronique d’une Liaison Passagère marque un peu le coup, et qu’il est permis de trouver que le film aurait été meilleur avec dix minutes en moins, la dernière partie est magistrale : alors que le malaise a commencé à percer derrière les arrangements du couple adultère, alors que, comme toute relation humaine, les choses ont peu à peu bougé, l’organisation d’une rencontre coquine à trois va faire exploser la fausse sécurité du pacte de légèreté. Et le film va basculer in fine dans le mélodrame bouleversant, dans une avant-dernière scène poignante, et dans une tonalité émotionnelle inédite chez Mouret.
Jusqu’à un tout dernier plan, qui montre in extremis que Mouret ne se résout pas à laisser dans la souffrance ses héros qu’il aime tant. Une dernière image, généreuse, qui montre que, finalement, légèreté ou pas, la vie continue.
[Critique écrite en 2022]
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