"pendant ce bref instant d'intimité, un millimètre nous sépare. Je ne savais rien d'elle. 57 heures plus tard, je tombais amoureux de cette femme."
HongKong, quartier populaire de Chungking. Deux histoires d'amour. Deux policiers, une femme aux activités pas très honnêtes et une serveuse.
Et c'est tout.
C'est tout parce que raconter une histoire, ce n'est pas vraiment le souci de Wong Kar-wai (ça ne l'a jamais été, je crois). Chungking Express, comme Nos années sauvages avant lui, comme Les Anges déchus plus tard, se veut avant tout une capture des sentiments, l'impression d'émotions éphémères. Tour à tour frénétique ou en apesanteur, la caméra se fait empathique.
Empathique avec les personnages, d'abord, bien entendu. D'où cette alternance entre moment graves et scènes légères, entre mélancolie et douce folie.
Empathique aussi, au-delà, avec l'ensemble de ce décor urbain. Le titre du film devrait nous donner une indication : Wong Kar-wai cherche à faire ressentir ce que peut être la vie de ce quartier. Film totalement urbain, où la nature est résolument absente, ChungKing Express est marqué par ce décor. Ainsi, tout ici est exigu, les hommes ont à peine la place de vivre. Et on voit ce décor qui encadre en permanence les personnages : rues étroites, appartements lilliputiens, minuscules boutiques ou ateliers... C'en arrive au point où les personnages peuvent à peine tenir debout. L'espace se réduit autour d'eux.
Et puisque la ville est le lieu par excellence où la solitude se fait la plus manifeste (et la plus paradoxale), ChungKing Express est un film sur la solitude urbaine, d'où son aspect doucement mélancolique.
La première histoire est sympa, mais c'est surtout la seconde que j'admire. Déjà parce que Faye Wong est juste magnifique. Ensuite, parce que c'est là que Wong Kar-wai réussit le mieux à capter les moments, avec légèreté. Il y a là comme un manque absolu de sérieux, une inconséquence caractéristique de cette jeunesse urbaine. Une "insoutenable légèreté de l'être", pour reprendre le titre du roman de Kundera. Tout passe, tout glisse, tout change en permanence. Matricule 663 est tellement habitué à cette instabilité que lorsqu'il s'aperçoit des changements survenus dans son appartement, il ne s'en étonne même pas, comme si c'était naturel.
Wong Kar-wai fait des instantanés de personnages pris dans le flux temporel, une précarité existentielle qu'il sait rendre tangible. Sa caméra virevoltante nous fait partager cette instabilité, cette vie en déséquilibre permanent. Passant d'une histoire à l'autre, d'un sentiment à l'autre, sans que rien n'attache, rien ne laisse de traces, rien ne laisse de souvenirs. Le temps de manger quelques boîtes d'ananas, et on passe à autre chose.
Même le désir d'ailleurs, concrétisé par California Dreamin', est momentané.
ChungKing express est un grand film. Peut-être pas le plus grand de Wong Kar-wai, mais peut-être bien celui par lequel il faut commencer son œuvre. Un de ces films que l'on voit non pour l'histoire racontée mais pour les sentiments qu'elle procure.