On en a gros !
Marre des embouteillages sous la chaleur suffocante ! Marre des employés procéduriers qui ne comprennent rien à rien, ne veulent rien comprendre, se cachent derrière les ordres et la hiérarchie !
Marre des incivilités, des margoulins, des épiciers coréens, des néo-nazis, des imbéciles heureux qui pensent que gueuler leur donne raison, des divorces non désirés, des ordonnances restrictives, des voyous, des voleurs, des gens qui s'enfoncent dans leur bulle sans remarquer les autres, des mendiants qui te harcèlent pour avoir de l'argent, des fous, des employés de la mairie qui emmerdent le monde dans la rue sans bosser, des gens qui te parlent sans respect, des grosses huiles qui te virent sans te connaître, des personnes au succès insolent alors que toi tu galères ! Marre de ce monde qui broie et écrase sans état d'âme, produit collectif de l'indifférence généralisée.
C'est en tout cas l'état d'esprit dans lequel se trouve William Foster, ingénieur à la défense récemment "remercié", mari récemment divorcé, père coupé de sa progéniture, coincé dans la chaleur étouffante d'un embouteillage interminable sur une portion quelconque d'une autoroute de la cité des anges. Sortant alors de ses gongs - et accessoirement de sa voiture - lors d'une séquence mémorable qui traduit par un montage de plus en plus rapide l'énervement du bonhomme, William décide de rentrer à pied jusque "chez lui". Le voila parti, coupant à travers terrains vagues et vague de gangs pour retourner à Venice Beach, retrouver un bonheur idéalisé et définitivement passé, dans la maison de son ex-femme qui ne veut plus le voir, au côté de sa fille qu'il n'a pas vu grandir. Il élimine tous les obstacles sur son chemin avec ce qui lui tombe sous la main, ce qui pousse le sergent Prendergast, officier à une journée de la retraite, à retourner sur le terrain pour traquer le tueur en chemise blanche-cravate.
Et on pourrait s'arrêter là, ne voir dans ce film qu'un immense défouloir, qu'un film d'action avec un casting cinq étoiles, un Michael Douglas dans une forme olympique, crédible au possible dans son rôle de monsieur tout le monde qui pète un plomb et décide de flinguer tout ceux qui lui barre le chemin.
Mais je pense que ça serait aussi manquer une partie de ce qui fait le sel de Chute Libre, de ce pourquoi Joel Schumacher s'est battu pour avoir ce script alors qu'il devait revenir à Paul Verhoeven ou Alan Parker.
Manquer le fait que le film fut tourné durant les émeutes de 1992 à Los Angeles, dans un contexte social délicat en plein milieu des années de la présidence Bush. Et ce film, selon les mots de Schumacher, n'est pas seulement le traitement d'un gars banal qui un jour prend un fusil et s'en va tuer cinquante personnes dans un fast-food, c'est aussi la prise de température d'une Amérique excédée. Le cri de colère de ce "Monsieur tout-le-monde" de la classe moyenne qui ne supporte plus son quotidien. De ce type invisible, commun, dont tout le monde se fout et qui éclate au grand jour. Ce film est une remise en lumière de ces gens là, pas uniquement via le personnage incarné par Michael Douglas mais aussi par le biais de ce flic qui ressemble trait pour trait à William Foster. Prendergast ( porté à l'écran par la légende vivante qu'est Robert Duvall, que je venais de voir bien plus jeune dans le Parrain ) est William Foster. Son mariage va à vau-l'eau, lui aussi a des "problèmes de famille" ( je n'en dis pas plus pour ceux n'ayant pas vu le film ), tout le commissariat le prend de haut, son capitaine le méprise. Et c'est lui qui sera le flic aux trousses de Foster. Ce sont ces gens invisibles du quotidien qui sont les héros de l'action !
Ajoute à cela un réalisateur qui sait ce qu'il fait et quelques plans sympathiques ( la scène d'ouverture, l'arrivée de William chez lui, la scène sur la jetée tout en émotion et en tension ), un traitement intelligent de ses héros ( pas de manichéisme ) et quelques effets pyrotechniques pour l'amateur de boum-boum que je suis ( le chantier de construction ).
Je terminerai sur un petit message d'amour pour Schumacher - dont j'écoute en écrivant une interview - qui m'attire une sympathie énorme pour le bonhomme. Déjà parce qu'il partage mon avis sur son film (enfin, je partage le sien, l'interview étant de 2013... -_-' ), parce qu'il adore ce qu'il fait, malgré sa filmo' en dent de scie, il semble habité par un amour pour le cinéma et une honnêteté, presque une candeur qui fait plaisir à voir, une joie de gamin à l'évocation de chacun de ses films, des anecdotes plein la besace. Et une humilité qui est vraiment rare...
Bon après, sorti de Phone Games, Génération perdue ( que j'ai vu il y a longtemps ) et Bad Company... voir le Nombre 23, je crois pas qu'il ait fait grand chose de potable, Chute libre est vraiment son chef-d’œuvre.
Ah, j'oubliai Batman et Robin, hin hin !
Edit : Si vous voulez écouter l'interview, la partie sur Falling Down (Chute Libre) est à 35 minutes et des brouettes. Mais l'ensemble est chouette à entendre.