Viol en réunion
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le 12 févr. 2015
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Voilà un film comme les masses en méritent – et elles le méritent tellement. Bien qu'elles fassent semblant elles ramperont toujours à temps pour jouir du spectacle et en ausculter chaque miette. Elles n'auront qu'à se dire écœurées ou consternées par tant de médiocrité, tous les complices seront là pour alimenter la grande chaîne de dénégations et de mise à distance hypocrite. Seuls les haters abonnés aux avant-premières et les cinéphiles bousilleurs systématiques de derniers blockbusters sont de plus éclatants abrutis. Au moins l'insipide mégère venue en toute bonne foi tâter du Grey a le mérite d'assumer – ou de ne pas s'inventer des raisons, ce qui vaut mieux que toutes les revendications.
Cette adaptation de best-seller doit son immense notoriété à sa prétendue nouveauté. Elle initierait le grand-public au sadomasochisme ; dans les faits, elle vulgarise celui des formalistes. En vérité les foules sont déjà bien initiées, mais hors d'épisodes de séries télé policières ou autrement racoleuses, elles ont peu eu l'occasion de se concentrer sur le sujet pendant une heure et demi (il en va autrement pour les et même pour 'l'individu', bien entendu). Cinquante nuances de grey a toutes les chances de décevoir ceux qui auront voulu laisser leur chance à la bluette scabreuse. Vu en tant que produit cynique, flatteur et rabaissant à son profit, le film peut tout de même susciter un certain intérêt, tant il se montre conséquent et manifestement efficace (ce qui ne plaide pas ['dans l'absolu'] en sa faveur ou n'augmente pas ou peu sa valeur par ailleurs).
Les logiciens de service s'arracheront les cheveux, mais s'ils sont honnêtes ils verront que les concepteurs du film sont loin d'être négligents. Les incohérences objectives ou seulement apparentes sont fondées sur des pseudo-vérités égotiques largement répandues. La petite héroïne est contradictoire et superficielle (une véritable Bridget Jones, une intello maladroite, une effrontée passive-agressive, une gamine admirative et offerte, une fille fluette et anxieuse, une bonniche blasée et lucide, une intrépide rieuse et épanouie) ; on pourrait la juger mal écrite et cela reste défendable ; mais elle est parfaite ainsi, si le but est de fédérer en elle la part avide, bestiale et quelque peu servile d'une multitude de femmes. Cinquante nuances de Grey mise surtout sur des nuances de types féminins, d'ombres honteuses ou de facettes leurrées. Ce sera aussi une manière d'atténuer les dossiers à charge contre le film et sa représentation des femmes. C'est le rôle de la prise d'assurance d'Anna et de son coup de poker final, où l'orgueil semble soudain la prendre toute entière, au point qu'elle se sente maîtresse de la situation, indépendante malgré sa légère confusion et ses états peu constructifs. Le film reste ouvert et peut être soupçonnable d'une chose et son contraire en matière de féminisme ou d'adhésion énamourée au patriarcat, voire de romantisme ou de pragmatisme. Même si concrètement, il est totalement romantique, pour le bénéfice d'une femme qui ne l'est pas beaucoup (hors de ses espoirs peut-être, mais ils sont trop communs et de basse intensité).
La représentation de Christian (et non 'de l'homme') en tout cas est totalement romantique, d'une espèce de sobriété d'hystérique. Il fait le cynique [etc] mais a du cœur ; il aime dominer mais ne fera jamais de mal, n'abusera vraiment jamais. Il pratique aussi l'humanitaire – mais c'est dit-il pour le business (pudique mâle alpha). Il rappelle Pretty Woman : lui aussi n'embrasse pas sur la bouche, d'ailleurs il ne faut pas le toucher. Car il tient à rester fort et garder son armure intacte, enfin ce n'est pas tout – il a aussi un côté sombre et en est conscient. On croit qu'il la fait mariner, or il ne veut pas blesser ce pauvre oiseau paumé (scène du café). Enfin il peut tout faire, surpassant Hannibal Lecter. Il a tout pour : davantage de moyens, pas de barrières – sinon son esprit probablement torturé et plein de secrets si difficiles. Et en plus il sait traiter l'Anna comme le ferait un godemiché turbulent et complice soudain pourvu d'une âme (« Je ne fait pas l'amour ; je baise, brutalement »). Last but not least, il aime malgré les défauts (il reste tolérant -mais dirigiste- lorsqu'elle est pathétique face à lui) – et lorsque la fille devient sale ou décevante, lui ne perd rien de sa superbe. Naturellement, comme il est tellement parfait (« sexy » pour être précis), Kate (l'extravertie aimable et décontractée) le soupçonne d'être gay ! C'est qu'on ne saurait oublier un des archétypes discount avec lesquels les bécasses donnent du sens à la réalité, s'approprient le langage et les références humaines. Le déroulement et les expressions sont remplis de ce genre de singeries – le film répète des tics lourds et indices limités à tous points de vue, comme les mordillements de lèvres, entre deux clichés de lovers (le piano après l'amour c'est plus propre que la cigarette) ou révélations cocasses (… et en plus elle est vierge !).
Sous ses dehors de grande 'petite fille' timide et sensible, Anna renferme une âme de mégère commune. Elle essaie d'être normale et y arrive au fond d'elle-même. Le film épouse les points de vue grossiers qu'Anna véhicule spontanément. Ainsi Christian Grey est une sorte de pervers, un sadique, pourtant nous voyons comme il est 'bien sous tous rapports' : décidément cet homme ne saurait être totalement corrompu ; or ces penchants de prédateurs sont bien ceux des méchants, dont il n'est pas, donc il les a acquis de force ! (Or lui-même a été introduit au BDSM – par une sorte de pédophile, comme la qualifie Anna ?) Autrement dit : on ne peut apprécier une chose 'déviante' sans être un déviant global sur le reste, ou sans avoir connu (et de préférence subi) un événement douloureux (ou pire). Christian ne peut pas ronger son frein lorsqu'on lui refuse le fist car on le priverait de la satisfaction d'un penchant naturel ; il faut des raisons livrables en un petit pavé ou même en un mot, un traumatisme. Donc que ça se 'règle' – et il est probable qu'Anna bataille dans ce sens lors des suites prévues à cet inévitable triomphe au box-office (ou obtienne satisfaction en voyant son pseudo-maître chamboulé).
Finalement ce film n'est qu'un cas particulièrement transparent d’appât 'transgressif' pour foules éblouies par le luxe et les 'plaisirs' sophistiqués – comme les suites de Saw ou certaines émanations de la real-TV en ont été, dans leur registre (et comme Le Loup de Wall Street pouvait l'être, en l'affichant et y participant). Les procès moralistes, qu'ils se définissent comme tels ou non, ne sont ni francs ni appropriés si à côté des productions plus soft mais également racoleuses restent 'impunies'. Les jeux autour des fantasmes d'hommes ou des désirs des femmes ne choquent que des minorités (aux perceptions structurées par l'idéologie) lorsqu'ils se diffusent dans les films avec Cary Grant ou les romcom modernes qui oublieraient leur second degré ou leur dose de circonvolutions progressistes. 50 nuances reste bien pire que Le Milliardaire (de Cukor) avec Marilyn et Montand et bien nul face à La Secrétaire, où les notions de pouvoir, de (ré)confort et de confiance étaient prises en compte avec humour et subtilité (quoique les charmes de l'aliénation consentie sont correctement survolés entre Grey et Anna). Les spectateurs contemporains seront ennuyés ou embarrassés par les bouffées de niaiseries et par l'hypocrisie du programme, plutôt que par les élans 'SM'. Car ce film promet beaucoup et donne peu, avec un rendement très en-dessous en termes de violence (une scène 'torride' et 'hargneuse' déprimante pour tous) mais généreux pour l'érotisme. Que de grosses suées pour trois [salves de] fessées (et des bribes de sensualité qui n'apportent rien de neuf ou d'assez puissant) – mais tout ça est trop précis et harmonieux, trop implacable, pour être totalement désagréable. La seule partie largement repoussante est la musique, outrancière dans le moche exalté quand Anna vit 'le rêve'.
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le 28 oct. 2017
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