L’enfance tue
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le 19 janv. 2017
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Le cinéma est un art en perpétuelle mutation et qui trouve, à un moment donné, l’élan nécessaire pour graver son langage dans son histoire. Mais il faut bien des penseurs et des acteurs engagés dans cette évolution. Deux d’entre eux notamment, Jean Renoir et Orson Welles, ont longtemps conquis par leur profondeur de champ, laissant ainsi exprimer toute une composition du cadre et du mouvement, dont ils font aujourd’hui partie de conventions sans doute futiles. L’exploit reste cependant soumis au nom de quelques œuvres pionnières, comme c’est le cas de ce premier long-métrage, que Welles a su bâtir de ses mains et avec toute son âme, accompagné du scénariste Herman J. Mankiewicz qui a littéralement tout donné dans ce projet et qui a notamment participé au « Magicien d’Oz », deux ans auparavant. La finesse dont il fait preuve dans un récit qui oscille entre plusieurs temporalités et qui témoigne de décors, forts en pertinence, apporte de l’onirisme et du réalisme comme il était rarement possible d’en voir à l’époque même de sa création. Mais avant d’être un outil précurseur au septième Art, il serait regrettable de laisser passer la tragédie bouleversante d’un homme, destinée l’échec et l’abandon, ce malgré sa position et son pouvoir.
Un soupir avant la mort et un dernier mot comme testament de son existence, Charles Foster Kane est passé par bien des étapes avant de se constituer une puissance financière conséquente et une influence, dont il représente à la fois son instigateur et son bourreau. C’est dans une constante contradiction qu’on découvre les traits de sa personnalité, tout comme celle d’une Amérique en crise. Welles insiste dans tous les sens, jusqu’à interpréter ce magnat de la presse, qui avait un œil sur l’évolution de sa nation, de son industrie et de ses conséquences. Il s’agit d’une personne qui possède ses principes et dont les ambitions peuvent parfois inférer avec les codes moraux. Le cinéaste n’est alors qu’au début de sa carrière, au début de sa vie et pourtant, il porte un regard d’anticipation et très avant-gardiste de ce que son monde deviendrait, au terme d’un cycle. Il développe tant d’aspect de son époque, avec une grande ferveur et sans sombrer dans la banalité. Il dirige notre regard à la fois sur le premier plan et sur ce qui se trouve en retrait, avec la subtilité nécessaire afin que l’on s’acquitte d’un langage visuel traditionnel. Les plans fixes sont limités et les paroles rebondissent à chaque coin du cadre, qui ne limite plus sa réflexion à ce que l’on voit ou ce que l’on ressent. Ce film va chercher toujours plus loin, dans des recoins toujours plus sombres.
Cela décrit avec pertinence tout ce qui gravite autour d’une puissance insoupçonnable et incontrôlable. Kane non peut lutter en tutoyant d’aussi près le mal qui l’habite, puis qui le hante et enfin le crucifie dans son domaine, luxueux et garni de bien belles possessions. Et c’est bien une des visions de Welles qui nous séduit dans cette intrigue qui emprunte la nostalgie aux flashbacks et aux remords des témoins. Eux, qui ont côtoyé cette âme ivre et perdue, reconnaissent malgré tout sa grandeur dans ses débuts à l’Inquirer. Il développe ainsi tout un pamphlet sur la mégalomanie des individus influents. En parallèle, c’est le miroir de l’Amérique personnifié, qui cumule richesse et pouvoir sans savoir quoi en faire ou comment s’en servir, dès lors qu’il ne reste plus que la solitude et la vieillesse de Kane comme salut. Il en va de même pour les femmes ou l’amour qu’il ne sait entretenir, car il ne parvient pas à renouer avec la maternité qu’il a connue autrefois. Ce qu’il comble par le pouvoir ne l’aide finalement pas plus, si ce n’est confirmer les failles du capitalisme et de la politique, car tout se rapporte à l’opinion publique, qui n’a plus faim ni soif, elle ne cherche que de la sincérité et de la loyauté.
L’homme qui a tout gagné dans une vie, perd tout sur fil et perd tout dans sa mémoire. Même les journalistes les plus curieux ne parviendront pas à définir l’humain derrière le génie. Ce qui est élevé au rang de la meilleure œuvre cinématographique américaine en dit long sur ses richesses et son patrimoine. « Citizen Kane » constitue l’un de ces exemples des plus audacieux et des plus innovants. Ce film offre également une ouverture d’esprit bénéfique et un accès exclusif au Xanadu, sanctuaire des plaintes, des pleurs et de tension au cœur même de la psyché d’un héros fatigué et abandonné à la merci du « Rosebud ». Ce Graal nous est finalement destiné et cette œuvre définit à elle seule toute cette quête mystérieuse sur le dernier mot du défunt, un mot lourd de sens. On nous transmet un savoir et un pouvoir dont l’usage ne tient qu’à nous et qui attend de nous une certaine sensibilité.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Ces films avec une ouverture mémorable ! et Mon TOP 100 du 7ème Art
Créée
le 1 déc. 2020
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