Citizenfour est un documentaire qui fait froid dans le dos parce qu'il confirme les craintes légitimes qui peuvent être celles de tous ceux qui participent à la construction du flux de données qu’est internet. Mais en élargissant la problématique de l’intrusion dans nos vies privées à nos conversations téléphoniques, aux appareils électroniques qui nous entourent quand ces derniers peuvent potentiellement devenir des moyens d’écoute, Laura Poitras contamine son audience d’une fièvre de paranoïa aiguë qui fait froid dans le dos. Dès lors se pose la question du crédit que l’on peut accorder aux images, mais il est certain que la vérité, dans le cas présent, n’est pas vraiment ailleurs.
Malheureusement, à ce fond dense et intéressant s’associe une mise en scène sans âme, une réalisation peu inspirée qui multiplie les longs plans fixes lorsqu'il n'y a pas de prise de vue sur le vif, et les cadrages incertains lorsqu'il est question de filmer Snowden. Le parti pris d’une caméra brute qui ne s’embarrasse pas de la lumière peut se défendre, mais lorsque son cadre bancal, qui cherche son sujet avec peine (les visages coupés, des gros plans sur des mains, des ordinateurs, qui ne racontent rien …), devient un langage à part entière, cela pose un problème. L’effort d’être authentique se ressent un peu trop, et à la place du naturel recherché pour rendre compte de l’oppression des situations, on en arrive à imaginer la réalisatrice en train de se tordre dans tous les sens pour trouver le faux plan bancal qu’il lui faut.
C’est pourquoi il est bien difficile de se prononcer sur la qualité globale de citizenfour. Si on ne le juge que pour son fond d’investigation et la problématique sensible qu’il soulève, alors on est devant une belle réussite, ou au moins un film nécessaire qui pose des questions fondamentales. Mais si on s’attarde sur sa mise en œuvre formelle, c’est une toute autre histoire, et elle est un peu moins flatteuse, malheureusement. De quoi rebuter tous les non connectés que le sujet ne passionne pas vraiment, ce qui est bien dommage parce qu'ils sont peut-être ceux à qui s'adresse en priorité ce genre de mise en garde.