CITOYEN D’HONNEUR (14,4) (Mariano Cohn & Gaston Duprat, ARG, 2017, 117min) :
Cette satire caustique habile suit les aventures de Daniel Mantovani, écrivain argentin lauréat du Prix Nobel de littérature vivant confortablement à Barcelone sans n’être jamais retourné dans son pays, jusqu’à cette sollicitation venue de son village natal : Salas. Une belle occasion de s’y rendre ?
Les deux argentins Mariano Cohn et Gaston Duprat collaborent depuis leur début en 2006 avec « Yo, Presidente » (documentaire sur les chefs d’états argentins) et se sont révélés internationalement par le biais de « L’Homme d’à côté » (2011) comédie tendue et cocasse tournée dans la maison Curutchet, pensé par l’architecte Le Corbusier. Ils reviennent sur nos écrans avec leur cinquième long métrage, cette fable identitaire « Citoyen d’honneur ».
Dès la première séquence la personnalité du protagoniste principal nous est présentée lors d’un discours amer à l’occasion de la cérémonie à Stockholm pour la remise de la prestigieuse récompense devant une assistance tout d’abord médusée par le ton des remerciements particulièrement acerbes avant d’applaudir l’écrivain. Le ton est donné !
La mise en scène la plupart du temps caméra à l’épaule impose un style quasi documentaire, comme si une caméra suivait l’intimité réelle de l’écrivain pour un reportage réaliste sur cet homme un peu désabusé par la notoriété acquise 5 ans auparavant avec ce Prix Nobel. On le voit avoir décliné diverses sollicitations de conférences ou d’inaugurations en s’entretenant avec sa secrétaire personnelle. Par des choix de plans astucieux l’on sent bien tout le poids que pèse même sur son écriture ce nouveau statut trop lourd à porter pour cet homme revenu de tout vivant dans une maison en forme de bunker sur une colline de la ville catalane.
Cet aspect sobre et brut de l’image va servir de mieux en mieux le propos en accompagnant l’écrivain de retour au pays en accentuant le décalage entre sa vie et la vie quotidienne de son village d’enfance qui semble-t-il n’a pratiquement pas évolué depuis son départ il y a 30 ans ! La structure narrative se décline en chapitres comme pour un roman et le scénario patient dévoile tour à tour nombre personnages comme autant de personnages de fiction ayant servis de modèle à l’auteur pour écrire ses histoires.
Nous suivons avec délectation les pérégrinations incommodes de Daniel Mantovani. Dès les premiers pas sur son sol natal un incident prédit par un mauvais présage un séjour délicat. Tour à tour lors de cérémonies hommage ou conférence ennuyeuses et aux questions laborieuses venant du public, au grès des retrouvailles avec d’anciens copains dont les affinités ont disparu, un ancien amour et son nouvel homme extraverti, des admirateurs un peu collants ou virulents et une admiratrice qui n’a pas froid aux yeux ni ailleurs…Chaque étape semble enclenchée une étape suivante dans une succession implacable de situations malaisantes pour le prodige du pays qu’on ne cesse de solliciter et n’étant nullement traité comme un prophète.
Les réalisateurs filment ce retour bien agité sans sarcasme et même bienveillance vis-à-vis de ces « gens du peuple » qui bousculent « l’élite » représenté par cet écrivain « traître » et transforme le récit en satire sociale. Plus le film avance plus la tonalité se fait sombre et la fable devient presque kafkaïenne jusqu’à la scène finale révélatrice de l’ensemble….
Ce grinçant portrait d’écrivain, bien écrit repose sur le jeu impeccable de Daniel Martinez (récompensée du Prix d’Interprétation masculine à la Mostra de Venise) presque de tous les plans qui déploie une palette de jeu assez jouissive pour accompagner cette caricature. Venez assister avec délectation au piège qui se referme sur ce Citoyen d’honneur. Féroce, intelligent, doux-amer et savoureux.