Le carton initial (“en hommage aux 300.000 morts de Nankin”) met les pieds dans le plat de toutes les questions les plus délicates du film historique : ce nombre de victimes, âprement discuté depuis 1937, rouvre les plaies d’un chapitre à vif de l’Histoire entre la Chine et le Japon, et qui n’a jamais donné lieu à un discours officiel.
Plusieurs éléments d’esthétique semblent ainsi viser à jouer la carte de la reconstitution : les cartons sous forme de cartes postales d’époque, et bien entendu le noir et blanc. City of life & death est un film ambitieux, ample, on n’ose dire épique tant il convoque tout sauf l’admiration dans son évocation la plus barbare de la guerre.
Car le film est avant tout le récit d’une défaite, et d’une forme de passivité. Le massacre de Nankin n’est pas une bataille, mais la barbarie imposée aux civils. De ce fait, les foules, l’exploitation de l’espace ou les scènes d’action visent toujours à mettre en évidence un piège à ciel ouvert, dans lequel la population n’a rien d’autre à attendre que les sévices, puis l’exécution. En résulte un film assez taiseux, qui fait la part belle aux portraits (on pense de temps à autre aux clichés de Walker Evans), et capte les regards des hommes, femmes et enfants pris dans l’étau de la folie meurtrière.
La mise en scène n’évite pas pour autant le formalisme : le travail sur le rythme dans des séquences très techniques sur les bombardements ou les échanges de tirs par les snipers, artificialise souvent le propos, à renforts de gros plans ou de ralentis. De la même manière l’illusion donnée au reportage de guerre par un abus de caméra à l’épaule alliée au travail hyper léché de la photographie génère un mélange un peu étrange, voire malaisant au regard de l’Histoire : difficile de ne pas voir que le film date de 2009, et des tics esthétiques de son époque. L’impressionnante procession japonaise victorieuse dans la ville, toute en percussions martiales, génère ainsi un mélange de fascination et de malaise dans une esthétique proche du clip, qui renvoie aux choix du film tout entier.
Peu de destinées individuelles dans ce marasme : le récit suit certes le parcours d’un soldat japonais, et a le mérite de ne pas totalement sombrer dans le manichéisme (même si l’on peut se questionner sur l’opportunisme diplomatique d’un tel ressort) en montrant l’effarement des exécutants qui, à leur manière, subissent les ordres venus de plus haut ; du côté des victimes, certaines occupent parfois l’avant-plan, mais sans jamais occulter la masse, omniprésente, et vit dans un même dernier souffle : une foule qu’on dirige vers la mer avant la mitraille, qu’on parque, ou dans laquelle des femmes se désignent comme volontaires à la prostitution pour le salut des autres. C’est sans doute là que réside la réussite du film : dénué de discours, montrant les bourreaux et victimes en prise directe dans une sorte d’incompréhension générale, il dresse un constat ahuri des extrémités que l’humanité peut atteindre, au point de faire dire à un soldat japonais que la vie est plus pénible que la mort.
Le spectateur occidental n’en sortira probablement pas beaucoup plus informé qu’il n’était arrivé, et les questions restent entières quant à la partialité du point de vue. Le film permet surtout de voir ce que le XXIème siècle, de par ses modes esthétiques et ses moyens de techniques, peut proposer en termes de film de guerre. Le résultat est plus impressionnant qu’émouvant.
(6.5/10)