Est-ce qu’un film sur des chiens ne pourrait pas attendrir le cœur des hommes ? la réalisatrice Halima Ouardiri juge sans doute que la cause des migrants n’affecte pas assez celui des occidentaux. Avec sa caméra, elle nous rabaisse à quatre pattes dans un univers original, à l’esthétique très léchée, flairant la moindre occasion de filmer les aléas d’un groupe de chiens sauvages.
Bien loin du contrat social ou du système de meute, les plus forts font en quelques sortes la loi, l’impression est que chacun s’impose à son niveau pour manger, dormir et se reproduire.
Souvent filmés en plan large et en plongée pour mieux capter leur nombre et la vie qui s’anime, les chiens sont cadrés par la réalisatrice de manière à travailler une esthétique de l’enfermement. Dans certains plans, la présence d’un mur relativement proche aplatit la perspective et enferme les chiens entre le mur et la caméra. Dans d’autres, où la profondeur de champ est plus grande et laisse espérer une plus grande liberté, elle est entravée par les colonnes d’une ancienne fourrière qui imitent les barreaux d’une prison, par une caméra au ras de terre qui laisse peu d’espace au toit ouvert, par le surnombre de chiens collés les uns aux autres, ou bien par ces grillages privilégiés par la mise au point. Et parfois, une plongée zénithale condamne ces « pauvres » bêtes à dormir une nuit de plus dans l’enclos.
Mais jamais cet enfermement ne sera vu de façon atroce ou péjorative. La présence de zones éclairées par le soleil connecte ces chiens à la nature et les humains qui gèrent leur vie sont moins des geôliers pour eux que des anges gardiens.
En réalité, cette esthétique sert moins un sentiment d’aliénation qu’à faire ressentir l’attente inexorable. Les plans sont des plans-séquence, le drame est minime et spontané. Les bêtes rentrent par un côté puis sortent par l’autre sans que rien ne se soit passé entre temps. Parfois un aboiement, hors champ, attire leurs regards, la caméra change de point de vue, fausse alerte, il ne se passe toujours rien. Néanmoins, en 18 minutes sans parole humaine (ou presque), le film ne nous ennuie à aucun moment ! Peut être qu’il doit beaucoup à son originalité mais nous ferait-il presque aussi rappeler la puissance envoutante des films muets, aujourd’hui remplacés par une narration et des dialogues surchargés.
La seule entorse au mutisme du film est ce message radiophonique qui brise également le mystère métaphorique du film. Aucune voix off, le spectateur n’est pas dupe, il savait qu’il n’était pas en train de voir un simple documentaire animalier. En effet, manger, dormir, se reproduire, nourrir ses enfants, mais surtout espérer fouler une terre nouvelle, est aussi le quotidien de bon nombre de futurs migrants, des « wannabe migrants ».
Clebs révèle une face nouvelle de cette crise et la complexifie davantage. Ne pas l’évoquer aurait rendu le film trop cryptique mais le dire explicitement, ou bien sous un effet dramatique de type cliffhanger, l’aurait rendu trop kitsch. En plus de ça, la mise en scène se veut subtile ; au-delà des murs, une plaine verte, sans pour autant paraître idyllique, évoque directement cette terre d’accueil, longtemps rêvée, mais rendu encore inaccessible, comme à ce chien qui pose ses deux pattes avant contre le mur.
Notons enfin que le film souffre de quelques plans signifiants la même chose et d’un plan final esthétique mais qui n’amène pas à une réflexion supplémentaire sur la condition migrant/canidé. Si cette comparaison n’avait pas été faite, le film n’aurait plus eu grand-chose à offrir : filmer des migrants dans des locaux aux allures de prisons aurait été assez convenu. A part ça, on ressent la confiance que la réalisatrice a en ses plans, bien qu’un poil répétitif et tarabiscoté, le silence et l’image suffisent à rendre cette métaphore bien maîtrisée.