Il est des plaisirs de cinéphiles que l'on ne peut se refuser. Le cinéma français des sixties regorge de petits trésors oubliés, écrasés par l'ombre tutélaire d'une Nouvelle-Vague qui s'érigea en reine de l'innovation. Comment rivaliser avec "A Bout de Souffle", "Pierrot Le Fou", "L'Année dernière à Marienbad" ou "La Piscine" qui ont marqués au fer ruge tout un pan de notre patrimoine culturel? Libération esthétique autant que sociétale, cette matrice formidable à révolutionnée la grammaire du 7ème art et influencée à jamais le monde. D'autres cinéastes, à l'ambition plus modeste mais au talent certain ont tenté de se frayer un étroit chemin parmi ces monstres sacrés.
Prenons le cas de Pierre Chevalier, réalisateur de ce facétieux "Clémentine Chérie". Inconnue au bataillon (que les spécialistes de cette époque pardonnent le profane que je suis), il s'essaye à la comédie de mœurs légèrement grivoise avec une belle réussite. Avec un scénario plus qu'improbable, il s'amuse de la frivolité tendance yé-yé de cette période. Soit un employé modèle d'une firme spécialisée dans les fibres synthétiques qui se voit promu chef de direction après avoir inventé un tissu en maillot de bain extensible et perméable aux rayons du soleil. Sous les ors de la comédie décomplexée, on peut y voir une réponse plus boulevardière aux échos Godardiens. Le modèle familial y est habilement moqué tandis que la nouvelle jeunesse y apparaît comme une entité vaguement préoccupée des affaire sérieuses. Trente Glorieuses oblige, elle s’enivre de soirées dansantes et de séduction facile.
Le comique de répétition joue beaucoup sur le décalage des générations. Le cinéaste en profite également pour égratigner gentiment la nouvelle Bourgeoisie qui se perd en circonvolutions toutes plus stupides les unes que les autres. Ainsi observe t'on avec tendresse et ironie ces employés et ces patrons rivaliser d'audace pour habiller, ou plutôt déshabiller, ces dames plantureuses. Un vrai régal que cette grivoiserie, ou la fantaisie le dispute à l'humour bon enfant. Point d'orgue, l'élection d'une Miss au nom complètement loufoque qui voit nos joyeux drilles s'écharper orgueilleusement pour élire leurs favorites. Les dialogues, tout de sous-entendus sont exquis. Et les personnages, bien que caricaturaux, sont à l'avenant. Si la gente masculine en prend pour son grade, la gente féminine est curieusement moins stéréotypée qu'attendue. Laissons de coté les mannequins, simple exposition de corps sublimes mais inertes. Voyez plutôt la femme et la ravissante fille du patriarche. Elles mènent ce bal des imbéciles heureux avec une belle fraîcheur. C'est bien connu, le sexe fort n'est jamais aussi faible que lorsqu'il est dirigé par d'ingénues et charmantes compagnes. L'épouse délaissée aura bien le dernier mot de l'histoire et sa progéniture ne s'en laissera pas compter de sitôt.
Les comédiens ne sont pas en reste. Le cabotinage est ici totalement convaincant et n'hésite pas à en faire des tonnes. N'ayez crainte, la réussite est totale. Pierre Doris porte excellemment bien l’exagération du nouvel arriviste, de même que Adrienne Servantie en concubine veule mais ferme. France Anglade ferait fondre le plus impassible des hommes. Quand aux seconds rôles, rien à jeter. Philippe Noiret est élégamment cocasse; Michel Galabru méconnaissable en scientifique en dehors des clous et Michel Serrault délicieusement lubrique en garant de la loi. En bref, une curiosité qu'il vous serait dommage de ne pas rattraper si vous en aviez l'occasion.