Cocottes, courtisanes, demi-mondaines, trotteuses? Au tournant du XXe siècle à Paris, les prostituées, nouvelles muses, inspirent la peinture et la littérature. De l'Olympia de Manet aux Demoiselles d'Avignon de Picasso, en passant par la Nana de Zola et les scènes de bordels représentées par Degas et Toulouse-Lautrec, ce film explore la rencontre incandescente entre ce monde et celui de l'art. À quoi tient cette prédilection à peindre des corps voués à l'amour vénal ? Pourquoi une telle obsession à pénétrer, réellement ou mentalement, avec sa palette dans les maisons closes ? Est-ce par souci de réalisme, de vérité sociale ou plus secrètement parce que de tels corps, avec leur nudité libre et contrainte à la fois, défie les limites de la peinture ? En revisitant certaines oeuvres et les archives de la police des moeurs où figurent des prostituées - des plus fortunées aux plus misérables - le film révèle la place de ces femmes à l'époque du capitalisme en plein essor.
Le sujet des cocottes et courtisanes en France m'intéressait depuis un moment.
Il y a quelques années, une exposition puis un gros livre ("Les cocottes, reines du Paris 1900") qui avait pu en être tiré, révélait les parcours de plusieurs personnages fantasques qui purent tirer leur épingle dans le paysage éminemment paternaliste et patriotique de la France du Second Empire et de la IIIème République.
Des héroïnes à proprement parler aux histoires parfois extravagantes, parfois simples, parfois mouvementées et tragiques (rappelez vous Mata-Hari les amis). Hélas ce livre est dorénavant indisponible et plus réédité (à moins que vous ne soyiez riche mais bon ça c'est une autre histoire). Autant dire que l'exposition Splendeurs et misères, images de la prostitution 1850 - 1910 qui s'est tenue à Orsay du 22 septembre 2015 au 17 janvier 2016 et le documentaire qui la complète, Cocottes et courtisanes dans l'oeil des peintres de Sandra Paugam arrivent à point pour compléter un déficit d'information tant sur les destins croisés de ces femmes que sur l'ambiance sociale et artistique qui règne sur Paris dans ces années là.
N'ayant donc pu voir l'exposition, je me suis jeté sur le DVD édité par Arte pour mon plus grand plaisir. Dans quelle mesure le documentaire surligne l'exposition ou en fait un élégant parallèle, je ne saurais dire, en revanche on en apprends des vertes et des pas mûres assez impressionnantes là dedans.
Ce qu'on appelle une "cocotte" sous le Second Empire peut s'apparenter à une prostituée de luxe propre à ruiner son amant de toutes sortes là où le terme "courtisane" est lui, plus ambigü : à la base, la courtisane possède une certaine culture et va se marier avec des personnes d'un niveau assez élevé dans l'échelon social. Les courtisanes recherchent essentiellement d'ailleurs l'argent ou des titres de noblesse, afin de s'élever dans une société assez machiste.
Là où ça devient intéressant sous le Second Empire puis La belle époque, c'est que les cocottes aussi adoptent d'une certaine manière ces buts afin de survivre. A la différence que la cocotte côtoie plus volontiers la piétaille, le peuple, les soldats là où les courtisanes s'affichent uniquement dans des strates supérieures (princes, ministres...). Bon, mon niveau d'Histoire étant ce qu'il est, ne m'en veuillez pas de ce résumé hélas bien simpliste où ici, l'Art va s'avérer le dénominateur commun des cocottes, prostituées et courtisanes, vu qu'elles seront souvent toutes "croquées" par les artistes de l'époque (1).
En effet, l'Art, que ce soit la peinture, les croquis, la photographie, voire la sculpture, vont immortaliser toutes ces filles. De fait, elles sont d'ailleurs bien plus accessibles que les bourgeoises dont le mari, ennuyé, va justement délaisser pour aller à leur rencontre (c'est avec les cocottes ou dans les maisons closes que bien plus de choses se passent entre hommes et femmes que chez les couples aisés alors et il ne serait pas étonnant que les évolutions lentes de la société se soient tenues sous la couette).
Ce n'est pas dit explicitement dans le documentaire mais elles symbolisent la vérité (affective et sexuelle) et l'ambiance du Paris d'alors. Les oeuvres font dès lors office de témoignage qui participent à la fois d'un changement artistique en quête de vérisme revendiqué par les artistes tout en étant de parfaits instantanés de l'époque. Une époque alors où près de 120000 filles se livrent régulièrement sur Paris à la prostitution, qu'elle soit réglementée (polices et visites médicales) ou bien plus cachée (2).
Des personnages hauts en couleur gagnent leur place dans l'Histoire.
Tel La goulue, danseuse du French Cancan (et dont la vie en ascension et déchéance mériterait un film --avec une bonne part d'érotique-- dans le paysage cinématographique français. (3)), que Toulouse-Lautrec va peindre et dessiner régulièrement avec un plaisir évident. Beaucoup de coucheries donc auquel l'Art quel qu'il soit (mais souvent de nature graphique) permet un certain rendu (en y grattant le vernis mais pas seulement) et que le documentaire explique sans fard avec un souci de restituer ces époques dont on a encore beaucoup de mal à expliquer comment elle pouvait aller aussi loin dans les extrêmes (Qu'on pense par exemple en peinture à L'origine du monde de Gustave Courbet (1866). Qu'on pense à L'absinthe qui pouvait avoir jusqu'à 80 à 90° d'alcool et qui perdura jusqu'à la première guerre mondiale --l'interdiction en France sera datée du 16 mars 1915. En somme, tu te flingues avec une roulette russe liquide) et dont parfois notre propre époque, plus portée de plus en plus sur le virtuel, l'illusion et le simulacre, nous paraît bien fade et prude.
Un chouette documentaire, passionnant de bout en bout.
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(1) ...troussées aussi pour être plus vulgaire mais réaliste.
(2) Apparemment le chiffre représentait près d'un quart de la population féminine concentrée sur Paris. Oui, oui, c'est énorme.
(3) Comme je suis un gars sympa, hop : https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Goulue