Fidèle for ever
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Le cinéma français des années 20 vit l’émergence d’un véritable cinéma d’avant-garde mené par plusieurs chefs de file, dont fit partie Jean Epstein. Celui qui réalisa notamment La chute de la maison Usher en 1928 et ses « poèmes bretons » et divers films documentaires à la fin des années 20 et durant les années 30, ne faisait que débuter, en 1923. Pourtant, avec Cœur fidèle, il montre déjà qu’il a beaucoup d’idées et de nouveautés à explorer.
Avec Cœur fidèle, Jean Epstein s’inscrit dans la lignée des mélodrames classiques de la décennie précédente et de la nouvelle. Un triangle amoureux avec, d’un côté, le mauvais garçon, agressif, possessif et alcoolique, de l’autre, l’homme calme et bienveillant, et, au milieu, la jeune femme égarée, sans famille si ce n’est deux parents adoptifs impitoyables et ne lui témoignant aucune forme de considération. Alors que Petit Paul, le mauvais bougre, s’impose comme le prétendant désigné, lui-même étant approuvé par les deux « parents » de Marie, cette dernière fait tout son possible pour s’évader quelques instants auprès de Jean pour regarder la mer, synonyme de fuite, et s’évader de ce monde sans espoir. Naturellement, le danger guette, et dans cet univers violent et désolé, l’amour peine à tracer son chemin.
Nous pourrions apprécier un drame classique et assez codifié, si Jean Epstein n’était pas aux commandes. Très vite, le cinéaste impose son style et déploie toute une palette d’effets et de procédés cinématographiques élaborant une véritable poésie visuelle qui permet aux images de parler plus que jamais au spectateur. Gros plans, effets de surimpression, fondus, les techniques exploitées sont nombreuses mais, surtout, elles sont judicieuses et confèrent à ce film une grande beauté. Il suffit d’un simple plan, d’un effet, pour que soient dites de nombreuses choses. Un regard de Marie vers l’horizon auquel succède, en fondu, une vue du port et des bateaux, illustrent une volonté de partir doublée d’une forme de lassitude. Les deux amants filmés en train de regarder vers l’horizon, avec les vagues en surimpression sur eux illustre également cette propension à rêver d’un départ pour un monde meilleur. Les gros plans mettent en lumière l’état d’esprit des personnages, et les enferment dans un plan resserré qui accroît le sentiment d’urgence et de panique qui les habite. Des distorsions illustrent l’ivresse.
D’une certaine manière, Jean Epstein réinvente le mélodrame à sa manière. Car Cœur fidèle reste très classique en termes d’écriture, avec une histoire très simple, assez étirée pendant les presque 90 minutes que dure le film. La volonté du cinéaste est de développer un nouveau langage cinématographique, qu’il n’est pas le seul à utiliser, d’ailleurs. D’autres de ses collègues français expérimentaient également à cette période, et certains passages de Cœur fidèle, notamment dans l’utilisation des gros plans et la gestion du rythme, rappellent le cinéma d’Eisenstein, contemporain d’Epstein. Un cinéma moderne, novateur, qui, par son esthétique, son intrigue, ses personnages et ses décors, avec ce milieu ouvrier, ce port et cette proximité avec ces hommes et femmes aux moyens plus que modestes, semble préfigurer le réalisme poétique qui marquera le cinéma français des années 30 et 40.
Cœur fidèle marque surtout par sa beauté, cette capacité à représenter des tourments intérieurs avec des moyens nouveaux, beaux et poétiques. Énormément de tristesse et de malheur se dégagent de ce tableau à l’ambiance désespérée, et c’est ce qui touche le spectateur, qui sera notamment marqué par le regard perçant et hautement communicatif de Gina Manès. Ce n’est que l’un des tous premiers films de Jean Epstein et, pourtant, il montre déjà ici de très belles choses, qui augurent ses futures grandes œuvres, sont celle-ci fait déjà partie.
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le 9 nov. 2020
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