Après avoir été subjugué par le sublissime Love Exposure qui tapait au centre de la cible de mes préférences en matière de cinéma, il va s'en dire que j'ai déblistéré avec hâte la boite bleue contenant le deuxième film de la trilogie de la haine de Sion Sono, Cold Fish. Second film, seconde gifle que j'ai prise avec plaisir, sans aucune envie de l'éviter. Impossible de rester indifférent devant tant d'audace et de maîtrise technique et même si je comprends qu'on puisse rejeter complètement un film de cet acabit, tant il est jusqu'au boutiste dans son propos et son traitement, c'est pour ma part un sentiment de fascination sans limite qui m'a habité des premières images au générique final.

Dès les premières minutes j'ai su que j'étais devant une pépite qui allait me chahuter. Sion Sono confirme avec ce film extrême tout le bien que je commençais à penser de lui. Il signe ici une toile d'une densité folle, si terrible dans sa démesure et pourtant d'une honnêteté évidente car elle n'est jamais gratuite mais toujours illustrative d'une problématique omniprésente. C'est en effet via la crudité de l'image que le cinéaste traite de la figure patriarcale au sein d'une famille en roue libre. C'est à travers Shamoto, un homme sans ambition, presque inexistant au sein de sa famille et sa rencontre avec ses plus bas instincts que Sono aborde la difficulté d'être père dans une société dont les repères changent. On est ici bien loin de cette figure forte du chef de famille qui est généralement l'image d'une tradition qui semble très loin dans le cinéma de Sion Sono. Tout dans ce Cold Fish semble être indomptable et c'est par l'image que le réalisateur le crie haut et fort. Si fort qu'il est difficile de finir le film sans tituber; sa dernière partie est ultime, dans tous les sens du terme.

C'est le coeur dans les talons qu'on subit plus de 2h de réflexion quant à notre statut d'être humain. parce qu'il est bien question de ça ici. Comment un homme banal pris dans un enchaînement de situations extrêmes, va transformer des années de frustration en haine meurtrière. C'est à mon sens le vrai propos du film et ce qui peut rebuter pas mal de personnes, d'autant plus quand c'est fait aussi brutalement que dans Cold Fish. Jamais Sono ne met de gants, rien n'est sous entendu, dans l'image en premier lieu, si belle et maîtrisée, d'une efficacité redoutable sur le spectateur. Très esthétique, aidée en cela par un sens du cadre impressionnant et des jeux de couleurs magnifiques, elle est l'arme première d'un cinéaste qui vous malmène en faisant de la beauté formelle de son arme, son principal allié.

Mais en plus d'être un esthète de l'image et un poète à fleur de peau, Sono sait également diriger ses acteurs avec poigne. Les deux figures masculines du film sont impressionnantes. Toutes deux impeccables dans leurs prestations, diamétralement opposées, à l'image de leurs personnages respectifs. Ils finissent de donner aux séquences cet impact vif et noir que l'on ressent au plus profond de nos tripes. Le casting féminin n'est pas en reste, et c'est peu de le dire. Asuka Kurosawa, en plus d'être sublime, est hallucinante et clairement habitée par son personnage, psycho jusqu'au bout des ongles.

Ajoutez à ce cocktail déjà riche en ingrédients de luxe, une narration linéaire aux ruptures de rythme assassines pour obtenir une oeuvre atypique, sensorielle et intelligente, d'une grande beauté plastique, aussi fascinante qu'éprouvante pour toute personne réceptive à ce genre d'univers.
oso
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le 29 juin 2014

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oso

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